La Passagère

Article écrit par

Sur un canevas aussi ténu que périlleux ; le premier long métrage d’ Héloïse Pelloquet embrase les cœurs et les corps.

Le diable au corps

Véritablement heureuse avec Antoine (Grégoire Monsaingeon) avec qui elle partage également la vie de marin-pêcheur, Chiara (Cécile de France) va pourtant s’éprendre de Maxence (Félix Lefebvre), leur tout jeune apprenti. Ainsi énoncé le  programme s’annonce hautement présumable, mais l’une des grandes forces d’Héloïse Pelloquet est de ne jamais chercher à justifier le comportement de ses deux principaux  personnages pour faire sens, mais de se rapprocher de leurs désirs pour faire vivre leur passion. Une belle assurance, une quarantaine épanouie, la Chiara qui nous est présentée n’a aucune raison de voguer vers d’autres horizons. Mais pourquoi faudrait-il fournir un alibi à ceux que le désir entraîne vers de nouveaux frissons ? Quand le corps s’exprime les mots ont peu de sens, peu de poids. Ici, la succession des ébats amoureux traduit sans crudité mais avec une grande vigueur le long chemin qui conduit à la fragile et brève harmonie des corps et des voix. Comme Claire Denis qui éclaire mieux que personne la beauté de Juliette Binoche (comme dans Un beau Soleil intérieur et tout récemment dans Avec amour et acharnement), la focale admirative d’Héloïse Pelloquet rend aussi bien grâce à la profondeur du regard de Cécile de France qu’aux nuances de sa carnation. Sans fausse pudeur, et surtout sans provocation, la comédienne s’expose et fait vivre intensément chaque nouvelle palpitation. Face à elle, le partenaire masculin doit faire preuve d’une réelle consistance pour que l’alchimie se cristallise à l’écran. Si le jeune âge de l’amant est rappelé à quelques reprises, il ne s’accompagne pas des habituels poncifs liés à une supposée ingénuité amoureuse.  Ce faisant, la leçon d’éducation sentimentale ne fait pas partie du programme, laissant place à un équilibre des puissances. Comme Cécile de France, Félix Lefebvre s’impose sans forcer le trait. Simplement sobre et mature, son charme opère tout naturellement.

Seule au monde

Le film a été tourné à Noirmoutier, mais la beauté paisible de l’île est  volontairement gommée par une topographie enserrée par des cadrages réduits et sélectifs, ainsi que par une préférence pour les scènes nocturnes, ou celles  soumises à de violentes intempéries. En effet,  l’action est censée se situer dans une partie encore plus sauvage et isolée de notre hexagone pour souligner l’importance de l’insularité dans la vie des habitants.  Antoine, le mari, et encore plus les personnages secondaires sont imprégnés par un mode de vie associant dépassement individuel et solidarité sociale. Sans chercher à s’inscrire dans une optique documentariste, les nombreuses scènes en haute mer saisissent par leur naturalisme dans le soin accordé à la précision des gestes et à la répétition des efforts. Là encore, l’implication physique des comédiens se doit d’être saluée. Plus encore, la notion de communauté solidaire dans l’adversité prend tout son sens au moment où l’infidélité de Chiara fait le tour de l’île et la condamne sans aucun droit de réponse. L’étrangère (originaire de Belgique) a été acceptée lors de son arrivée il y a une quinzaine d’années, mais, aujourd’hui, en affirmant son désir pour un autre, elle a choisi de se marginaliser. Une femme ne peut pas s’autoriser à sortir du cadre, ne serait-ce que pour une brève rencontre. Pour autant, les accusateurs ne sont pas diabolisés aux yeux de la réalisatrice. Il en est simplement ainsi pour un monde qui entend se protéger contre l’érosion du temps. Pour son premier film Héloïse Pelloquet vise juste et fort.  La sobriété de la photographie, l’absence de décorum superflu ; sa belle mise en scène tend à figer le temps pour mieux saisir le caractère intense et éphémère de la passion.  Simple passagère sur l’île, Chiara connu le bonheur de pouvoir vivre deux belles histoires d’amour avant de continuer de s’épanouir sous d’autres horizons.

 

Lire également les interviews d’Héloïse Pelloquet, Cécile de France et Félix Lefebvre

Réalisateur :

Acteurs : , ,

Année :

Genre :

Pays :

Durée : 95 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Autopsie grinçante de la « dolce vita » d’une top-modèle asséchée par ses relations avec des hommes influents, Darling chérie est une oeuvre générationnelle qui interroge sur les choix d’émancipation laissés à une gente féminine dans la dépendance d’une société sexiste. Au coeur du Londres branché des années 60, son ascension fulgurante, facilitée par un carriérisme décomplexé, va précipiter sa désespérance morale. Par la stylisation d’un microcosme superficiel, John Schlesinger brosse la satire sociale d’une époque effervescente en prélude au Blow-up d’Antonioni qui sortira l’année suivante en 1966.

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur terminale

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur terminale

En 1958, alors dans la phase de postproduction de son film et sous la pression des studios Universal qualifiant l’oeuvre de « provocatrice », Orson Welles, assiste, impuissant, à la refonte de sa mise en scène de La soif du mal. La puissance suggestive de ce qui constituera son « chant du cygne hollywoodien » a scellé définitivement son sort dans un bannissement virtuel. A sa sortie, les critiques n’ont pas su voir à quel point le cinéaste était visionnaire et en avance sur son temps. Ils jugent la mise en scène inaboutie et peu substantielle. En 1998, soit 40 ans plus tard et 13 ans après la disparition de son metteur en scène mythique, sur ses directives, une version longue sort qui restitue à la noirceur terminale de ce « pulp thriller » toute la démesure shakespearienne voulue par l’auteur. Réévaluation…