Dans le droit fil de Séraphine
Martin Provost, qui en est maintenant à son septième long métrage, est étonnant car il change souvent de genre mais sans jamais vraiment changer de style. Ainsi le succès public et critique de son film Séraphine en 2008, coécrit avec le scénariste Marc Abdelnour, annonce tout autant Où va la nuit en 2011, que Sage-femme en 2017 mais aussi Violette juste avant, en 2013. Ses deux derniers films ne sont d’ailleurs plus coécrit avec Marc Abdelnour et La bonne épouse est coécrit avec Séverine Werba. Voici rapidement pour sa filmographie. Quant à son dernier film donc, on peut dire qu’il tombe à pic et avec humour et fantaisie dans notre monde déchiré par un néo-féminisme débridé quand même assez brouillon et quelque peu difficile à décrypter. Mais ça bouillonne. La bonne épouse raconte en couleurs pastels et avec une grande justesse de ton une époque pas si lointaine que ça (un peu plus de 50 ans, quand on les ramène aux dimensions espace-temps des exo-planètes, ça fait très peu !) où les jeunes filles des classes moyennes et populaires apprenaient dans des écoles spécialisées l’art ménager, c’est-à-dire comment cuisiner, repasser et faire le ménage pour rendre son mari heureux. Depuis, l’ouragan de mai-68 a tout chamboulé et ces écoles disparues seraient à peu près inimaginables de nos jours.
L’école ménagère
Martin Provost raconte dans le dossier de presse du film comment lui est venue cette idée lorsqu’il se trouvait en vacances dans le Cotentin et qu’une dame de la noblesse locale lui a raconté que, pour ne pas quitter ses copines dans les années 60, elle avait préféré ne pas entreprendre d’études et se faire inscrire dans une de ces écoles ménagères qui proliféraient à l’époque. Renseignements pris avec sa scénariste, Séverine Werba, ces écoles ont existé et le film leur sera consacré. On ne peut pas accuser d’ailleurs Martin Provost de surfer sur la vague des Metoo et autres mouvements féministes puisque tous ses films parlent justement de cette émancipation féminine. Ce dernier film tout particulièrement, sous forme de comédie burlesque, qui se termine en petite comédie musicale que n’aurait pas désavouée Jacques Demy, est magnifiquement interprété par trois actrices hors pair, notamment une Juliette Binoche décidément très à l’aise dans ce rôle burlesque, mais aussi bien sûr Yolande Moreau, une habituée, et Noémie Lvovsky, extraordinaire en bonne soeur sévère. Les rôles masculins, tenus par François Berléand et Edouard Baer, ont fort justement tendance à s’effacer devant la petite nuée de jeunes filles en fleurs, toutes magnifiques et qui peuplent cette école d’une autre époque. Il semblerait qu’ici, Martin Provost ait illustré de la plus belle manière ce texte de Rilke qu’il avait découvert à seize ans dans Lettres à un jeune poète : « Cette humanité qu’a mûrie la femme dans la douleur et dans l’humiliation verra le jour quand la femme aura fait tomber les chaînes de sa condition sociale. Et les hommes qui ne sentent pas venir ce jour seront surpris et vaincus. » Depuis, en effet, mai-68 est passé par là et, différemment, les mouvements actuels qui sont plus accès sur les abus sexuels dont les femmes sont souvent victimes.
Une vraie révolution
Martin Provost, à sa manière douce et teintée d’humour, fait sans doute plus que bien des militantes engagées. Il le raconte très bien lui-même dans le dossier de presse du film : « Quand j’ai tourné Séraphine, je me souviens d’une discussion avec une amie qui me reprochait mon manque d’engagement politique. Je lui avais répondu que faire un film sur une femme de ménage qui se voue à la peinture envers et contre tout, c’était ma façon à moi de m’impliquer. Au moment de la sortie du film suivant, Où va la nuit, j’ai été surpris de constater à quel point faire un film sur une femme battue qui assassine son mari était encore dérangeant. Tous ces personnages féminins sont rattrapés par un besoin de liberté, elle s’impose à eux comme l’unique route à suivre : celle de l’émancipation. »