Farang

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Trois mois après la sortie du dernier « John Wick », la France donne sa réponse : « Farang » est tuméfié et suant.

Français comme Europacorp ? International comme Ubisoft ?

Y a-t-il couple de cinéma, en France, plus discret et dépareillé que Xavier Gens et Mounia Meddour ? Le premier est autodidacte, tête brûlée, un réalisateur « de commandes ». La deuxième vient d’une famille du métier (son père était lui aussi réalisateur), est une auteure, et est connue pour des films pleins de patience qui ont la douceur de la soie. De prime abord, c’est vrai qu’il est un peu surprenant de voir le nom de Gens à la production, sur Papicha et Houria. Mais d’un autre côté, au moins une chose unit mari et femme. C’est leur curiosité : Celle qui pousse Meddour à être aussi observatrice, dans ses deux longs-métrages. Celle qui fait commencer Farang, dernière pétarade sanguinolente de Gens, par une intro sociale qui suggère les thèmes de la violence en prison, du travail des émigrés et de la difficulté à échapper au déterminisme économique.

Samir (Nassim Lyes) n’a pas passé 24 heures hors de prison, à la fin de sa peine, qu’il est confronté à deux réalités. D’une, le boulot dans le bâtiment qu’on lui propose est ingrat, lui demandera d’être coriace. De deux, les « amis » criminels à qui il doit son incarcération n’en ont pas fini avec lui : Ils entendent bien lui mener la vie dure. Une bagarre, un accident plus tard, et voilà que Samir doit fuir la France. Il recommencera à zéro en Thaïlande en tant que « Sam », mais, plus tôt que tard, sa proximité avec de nouveaux comparses douteux et son passé le rattraperont.

De l’investigation, de l’infiltration, de la boxe, du combat de rue sans merci… Farang n’est pas un film sur les MMA mais c’est bien un film qui mélange les arts martiaux et les techniques, tout étant permis au nom d’une revanche vertueuse et de la possibilité de sauver un enfant. En effet, le capo « Narong » (Olivier Gourmet) a fait assassiner la compagne de Sam et a kidnappé sa belle-fille. S’en suivra alors une quête à chaud, à feu et à sang pour le débusquer, laquelle fait passer Sam par de nombreux endroits de l’imaginaire Thaïlandais. Cela inclut des docks et des bars « à ladyboys ». Au cours de ce périple, c’est surtout les capacités de comédiens de Lyes qui seront mises à l’épreuve : Son visage exprime bien la gravité, correctement la douleur et la perte, mais on aurait gagné à ressentir plus de l’urgence étouffante de cet homme qui a tout perdu. Ce guerrier en colère est néanmoins très crédible en corps indomptable, capable d’encaisser dégâts sur dégâts et de les rendre au centuple.

Du tortune porn ? D’aucuns diraient du « justice porn« .

Nous faisant sauter d’un coin à l’autre d’une carte, Farang a parfois une logique de jeu vidéo, un objet divisé en niveaux. C’est vrai que Gens a commencé sa carrière en adaptant Hitman au cinéma. Multipliant les ralentis, attirant sans pincettes notre attention sur l’effet kinétique qu’ils ont, Farang semble vouloir travailler la gravité, la pesanteur des pains dans les gueules. À vue de nez, Gens emprunte à Matthew Vaughn, qui enlevait dans Kingsman des frames juste avant les coups, afin de les rendre plus percutants.

Les chorégraphies des combats sont très efficaces et lisibles ! Et la caméra dynamique nous aide à ressentir la texture élastique du long-métrage. Pour autant, celle-ci aurait parfois fait mieux de prendre un peu plus de distance, pour ne pas trahir des artifices. Ainsi, la chute mortelle qu’on voit vers le début de l’œuvre paraît un peu molle. Elle fait partie de ces moments où le film n’arrive pas à nous faire ressentir le poids des os en train de se briser. Ces moments sont d’autant plus repérables que le film est d’ordinaire plutôt bon à nous faire grimacer face à toute cette chair abimée.

Et cette même caméra dynamique, mobilisant ce qui doit être un drone pour des travellings arrière, manque un peu d’ancrage. La logique de jeu vidéo du film n’est alors plus transformative, elle devient un gimmick, elle fait gadget. Les incohérences scénaristiques de Farang (et c’est vrai qu’il y en a, au moins des approximations dans le récit) sont pardonnables. On n’attend pas d’un hériter au Transporteur qu’il soit irréprochable, juste qu’il soit féroce. Mais les incohérences visuelles font mouche : Comment une chute d’environ un étage peut-elle tuer un jeune caïd sur le coup ? Et que faire de cette scène d’apparition fantomatique un peu gratuite du personnage féminin à son mari ? À cela, on ajoute un choix qui n’a pas porté ses fruits : Gens dit avoir engagé Gourmet pour qu’il continue de porter la dimension sociale de l’ouverture du film, dans le reste du récit. Il dit avoir fait appel à lui pour que le public voit ce trafiquant malfaisant et pense aux frères Dardenne. Paradoxalement, l’acteur est trop bon : On oublie totalement qu’il n’est pas un habitué des séries B tranchantes aux méchants sanglants et sauvages !

Malgré ces accrocs, Farang reste un film bien mis en scène, et surtout très honnête et suffisamment généreux avec le spectateur. Il lui donne ce qu’il est venu chercher, c’est-à-dire de la baston sous des lumières néons, de la casse et de l’hémoglobine. On aura vu mieux en termes de John Wick-erie, cette année, dont le champion éponyme du genre, et Farang n’a pas la radicalité sordide des propositions sud-coréennes (voire Project Wolf Hunting). Il a cependant du mauvais goût à revendre ! On le félicite, en outre, d’être un rare film français où on verra un bonhomme en attaquer un autre avec sa fracture ouverte.

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Durée : 99 mn


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