HOURIA

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Passionnée par ses héroïnes résilientes, Mounia Meddour suggère par synecdoque que l’Algérie ne pourra jamais être vraiment brisée.

« Adios Argelia » ? Jamais, pour Lyna Khoudri

Mounia Meddour et Lyna Khoudri sont-elles appelées à devenir un important duo de cinéma, leurs collaborations destinées à être remarquées, leurs films formant entre eux une continuité artistique puissante sur la vie des femmes en Algérie ? En bien des points, en tout cas, leur Houria ressemble à une suite spirituelle à Papicha, œuvre qui avait fait gagner à l’une le César du premier film et à l’autre celui de l’espoir féminin. Les liens qui existent entre les récits sont immanquables : Papicha parlait de sororité, de solidarité. L’entraide féminine n’y était pas toujours douce, elle n’y était jamais acquise ; mais elle était nécessaire. Houria parle non plus d’une seule communauté de femmes (la cité d’étudiantes de Papicha) mais de deux. Papicha était un film introspectif, rétrospectif, s’attachait à décrire avec empathie le quotidien à Alger dans les années 90. Houria se déroule à notre époque, et cherche à examiner l’héritage des tensions politiques de cette « décennie noire », les résultats de la violence qui a pu s’y dérouler. Enfin, Papicha se terminait sur une tragédie, Houria commence sur une blessure.

 

L’héroïne éponyme (Khoudri, donc) est fille de professeure de danse, par ailleurs artiste très prometteuse elle-même. Comme le faisait déjà Papicha, Houria ne s’embarrasse pas d’aspirations à l’Europe. Houria est Algérienne, elle est fière de l’être, elle n’imagine pas sa vie loin de ce pays. Un soir, alors qu’elle se rend à une représentation, elle est violemment agressée par un homme qui l’accuse de l’avoir volé. Houria était au mauvais endroit, au mauvais moment. S’en suit alors un réveil douloureux à l’hôpital, et une longue rééducation. Preuve de confiance en la justesse de ses choix et en l’intelligence du spectateur, le film nous épargne le topos pathos de l’artiste/athlète qui ne peut plus pratiquer sa discipline de prédilection. Assez vite, Houria retrouve l’usage de ses jambes, et, bien qu’elle ne danse pas encore avec la même aisance technique dont elle jouissait avant l’attaque, elle retrouve la capacité de s’exprimer avec son corps. C’est ce qui est important pour elle. Ça l’est d’autant plus que la vraie conséquence de l’agression aura été de la priver de sa voix suite au traumatisme.

Des femmes blessées, pour beaucoup par la guerre civile

Dresser le tableau des moments de bravoure du film serait futile. Plus qu’une scène en particulier, le spectateur retiendra de l’œuvre son audace sans cesse renouvelée. En effet, alors que les motifs explorés sont les mêmes que dans Papicha, Houria cherche constamment à élever ce qui peut être élevé, et tire le meilleur de ses interprètes en leur opposant des défis. Aussi, dans Papicha, Khoudri brillait par son polylinguisime – Pas seulement une maitrise du français et de l’arabe, mais de l’arabe citadin, du français avec un accent français, du français avec un accent arabe, etc… Dans ce film, rendue muette du jour au lendemain, Houria comme son interprète doivent réinventer leur rapport au monde, et se poser des questions : Qu’est-ce que ça signifie, être visible ? Qu’est-ce que ça veut dire, être compréhensible dans un pays qui a parfois peur de notre volonté d’exister ? Si cet homme ne l’avait pas frappé, un autre l’aurait peut-être fait. Pour une jeune femme, il est facile d’être au mauvais endroit, au mauvais moment. Entre les radicaux religieux de Papicha et la police lâche et complice de Houria (qui suggère que la danseuse n’aurait jamais dû se rendre dans un quartier douteux, la nuit), il y a une filiation, celle d’une autorité arrogante et sourde. Le long-métrage, pendant tout son deuxième acte, trouve une vraie force exaltée en décrivant une vie qui se déroule loin de cette autorité, qui ne se soucie pas d’elle. Cette vie, c’est celle de la classe de danse, c’est celle du groupe de rééducation (composé d’autres femmes mutiques). C’est celle qui mène Houria vers le chemin de la reconstruction.

Un film bilingue qui maitrise plusieurs dialectes de cinéma

Utilisant des outils de cinéma plus clinquants (fondus au blanc, montages musicaux) que Papicha, le film a le potentiel de réconcilier plus d’un spectateur avec le sous-genre « feel-good ». Tout dans la mise en scène travaille à nous faire voir la beauté qu’on peut trouver dans la marge, dans l’imparfait. Sur les toits d’immeuble, ou dans des sièges récupérés. Si Meddour s’était arrêtée là dans ses ambitions, on aurait eu une œuvre forte, portée par un personnage original et curieux. On aurait été témoins du même désir de se donner les moyens d’aimer la vie qu’il peut exister dans la filmographie de Cédric Klapisch ; Dans une œuvre où les actrices principales sont encore plus « en corps » qu’En Corps. Mais Meddour ne s’arrête pas là. Le troisième acte du film sera celui des retours à la réalité. Et là, on en a la confirmation, les films de Meddour avec Khoudri sont des films qui bénéficient de recul, de sagesse. Ils n’ont pas la naïveté de la jeunesse, et – surtout – ils n’auront jamais la moindre affinité avec la résignation. Du cinéma qui s’intéresse à l’avenir, à la vie après le présent.

 

 

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Durée : 98 mn


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