Compilation de tons et de postures travestis en insolence, « Kingsman » n´est qu´un spectacle grossier et désordonné.
À travers cette histoire de société d’agents secrets en quête d’une nouvelle recrue pour contrecarrer les plans machiavéliques d’un milliardaire fou, Matthew Vaughn entend redonner un nouveau souffle au film d’espionnage, le passant à la moulinette de son esprit espiègle, nourri de références et passionné de nouvelles technologies. Rendre hommage à un genre sous l’angle du pastiche spectaculaire : l’objectif n’a, en soi, rien de vraiment neuf. Or, s’il y a bien une tare inhérente à la parodie, et que Kingsman reprend plus que largement à son compte, c’est bien la possibilité de se permettre tout et n’importe quoi, au seul prétexte de faire dans le décalage et la posture désinvolture. A ce titre, il suffit de voir le pathétique bad guy pour se convaincre de l’ineptie paresseuse du script… Autant dire qu’avec son dernier-né, Vaughn n’est pas prêt d’entériner l’effet de mode qui prévaut au pays de l’entertainment. Le second degré, désormais omniprésent, s’apparente au nouveau cache-sexe d’un cinéma spectaculaire qui se voudrait fun, mais n’a même plus les moyens de ses (maigres) ambitions, tant l’humour y fait l’objet d’un traitement des plus poussifs. La stratégie du cinéaste consiste ici à reprendre les formules hollywoodiennes, en poussant les curseurs à l’extrême. Projet en soi louable, mais peu convaincant à l’arrivée : englué dans un délire méta-cinématographique de pure surface, Kingsman confond à tel point audace et lourdeur qu’il ne fait jamais illusion quand il entend dissimuler sa grossièreté sous les oripeaux de l’irrévérence.
Cependant, le véritable problème de Kingsman, son paradoxe intenable, tient tout entier dans son ambition consistant à vouloir jouer sur tous les tableaux : à savoir, d’un côté, amuser, en détournant avec désinvolture ses propres références ; et, de l’autre, tenter de donner une crédibilité, un socle premier degré, par le biais de l’imitation consciencieuse. Il y a ainsi plusieurs films dans Kingsman, et c’est bien là le problème : son absence d’unité. Vaughn empile les situations sans souci de ton ni de goût, et aboutit à un ensemble morcelé, un fourre-tout indigeste et peu avare en facilités. Le cinéaste opère ainsi une sorte de croisement génétique monstrueux entre James Bond et Austin Powers, revisité à la sauce Tarantino, d’où résulte un comble : une parodie ultra-violente qui se prend au sérieux. Le film n’est jamais en mesure d’accomplir le grand écart d’un récit où se côtoient situations tout à fait classiques du film d’espionnage à l’ancienne, clins d’œil fun et référencés, et envolées stylistiques totalement délirantes. Vaughn reste dans un entre-deux, n’optant jamais clairement pour la désinvolture grasse, l’humour vulgaire et inconséquent, ni pour l’application propre et sage.
C’est peut-être sous l’angle du rapport à la violence que le film se révèle le plus problématique, dans la mesure où Vaughn lui réserve une multitude de traitements disparates. À ce titre, une séquence à mi-parcours est amenée à faire parler d’elle, quand une foule de croyants, parmi lesquels s’est infiltré l’agent joué par Colin Firth, se mettent à s’entretuer dans une église, sous l’emprise de la création maléfique du bad guy. La religion et la figure du gentleman héros en prennent pour leur grade : l’insolence, quoique peu subtile, voire infantile, est bien réelle. Pour autant, la scène, qui se veut éminemment jubilatoire (en témoigne ce solo de guitare frénétique qui déchire la bande-son), laisse totalement circonspect. Pourquoi ? Parce que ces images, qui ne cessent par ailleurs de clamer leur propre virtuosité, sont soumises à un traitement vidéoludique du pire effet, où la violence ne débouche même plus sur une acmé cathartique, mais un défouloir épileptique, froid et irrémédiablement laid. Le film n’est jamais aussi complaisant que lorsque Vaughn s’adonne à un recyclage d’images issues de sphères autres que celle du cinéma (le jeu vidéo, bien-sûr, mais aussi vers la fin, le temps d’un plan en mode "subjectif", la pornographie). C’est d’autant plus regrettable que Kingsman offre, avec sa scène de combat final, l’aperçu le plus convaincant de ce qu’il aurait probablement dû être : un spectacle fantaisiste, cheap, aux accents psychédéliques.