Corsage

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Un massacre bien ficelé.

Être ou apparaître

C’est avec Corsage que Marie Kreutzer fait son retour au cinéma, réinvestissant par la même occasion la figure de Sissi l’impératrice. Comme ses prédécesseuses Romy Schneider, Ava Gardner ou encore Dominique Devenport, Vicky Krieps interprète Elisabeth par le prisme de son caractère dissident, plutôt préoccupée par la science, la politique et les stratégies d’insoumission à son rôle de mère-épouse-reine-femme. À l’inverse du cinéma qui la précède, la réalisatrice a choisi dans ce long métrage de fictionnaliser la quarantième année d’anniversaire de sa Majesté. Deux heures pour douze mois font se succéder grands banquets et autres épisodes de représentation, qui contraignent la reine à se métamorphoser en un objet de perfection au sourire manifeste et à la morale inflexible. À ce statut qui l’assujettit et la condamne, Sissi répond par l’insubordination : elle se détourne constamment en voyageant (chez sa sœur et son cousin et amant), par la fuite (simulant un malaise ou quittant les repas de manière intempestive), par l’humour (arborant une moue moqueuse au détour d’insultes et de doigts d’honneurs). L’impératrice est en quête d’espaces susceptibles de lui insuffler un sentiment de liberté (elle se jette dans les lacs pour nager presque nue, se lasse et remplace ses amants, s’engage dans de grandes chevauchées à travers champs…). En confectionnant sur mesure un épisode présenté comme biographique d’Élisabeth, Marie Kreutzer revendique explicitement un engagement éminemment politique et féministe pensé a priori, pour valoir au présent.

Esthétique sans éthique

Corsage se distingue au festival de Cannes dans la catégorie « Un certain regard ». Ce mérite pourtant ne se justifie en rien au vu de ses arbitrages techniques. À la manière de Forman dans son célèbre Amadeus, la réalisatrice privilégie les plans larges rythmés par une symétrie architecturale, les plongées sur les tablées faites de mets et d’ornements d’époque, auréolées de tous les personnages secondaires du film (amis, mari, enfants, aristocrates), qu’elle rehausse d’une lumière tamisée émanant des nombreuses rangées de chandeliers. Cette rigueur pourtant est brisée par d’autres décors et cadrages tout droit issus du Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma. Sissi s’échappe de son domaine pour en rejoindre d’autres plus minimalistes, délabrés aux murs craquelés et poussiéreux, simplement vêtus d’une cheminée pour certains. Enfin, très probablement empruntés à la Marie-Antoinette de Coppola, Kreutzer entrecoupe son film d’inserts représentant Sissi marchant au ralenti, cheveux au vent, regard sévère, escortée par ses bonnes sur une musique très moderne composée spécialement par Camille Delmais. De ce même film est inspiré l’esprit brut et sans gêne d’une femme issue d’une bourgeoisie qu’elle n’a pas choisie. À toutes ces séquences se superpose un grain d’image qui n’est pas sans rappeler celui produit par la caméra Super 8. Il est le seul à rendre agréable tous ces tableaux en plans généralement fixes et cadrés sans fantaisie qui se succèdent à une cadence acharnée. Cette allure de zapping fait de ce film un objet de consommation tant le spectateur n’est pas autorisé à faire connaissance avec le milieu auquel il est confronté. Kreutzer reste donc dans l’ombre de ces grands films. Le mélange des plans classiques et rigoristes avec ceux voulus plus modernes n’ a aucune cohérence. Les enchainements relèvent de la répétition et non du rythme, ce à quoi s’ajoute un jeu d’acteur moyen pour la plupart, médiocre pour Finnegan Oldfield. Aucune emprunte distinctive ne détermine l’identité visuelle du film.

Le bûcher de Virginia Woolf

Comment aborder la perspective politique de Corsage ? Lors de sa première visite dans un asile de femmes, le spectateur entend au travers du regard de Sissi que l’enjeu principal va être de déconstruire le mythe misogyne autour de l’hystérie féminine. Ce long métrage est une lente et apathique chute durant laquelle Marie Kreutzer perd le contrôle et maltraite son énoncé. Elle s’évertue d’abord à superposer des couches de schémas usés et surexploités (les séquences à cheval sur fond de musique dramatique sont stéréotypées à souhait, Sissi se coupe les cheveux avec fureur, décompense en prenant de l’héroïne, détaille ses désirs à l’aide de proverbes prémâchés et indigestes). Au-delà de ces pérégrinations futiles, Kreutzer détruit l’esprit de sororité attendu et introduit. Sissi ne cesse de se servir de ses amies qu’elle empêche de se marier, non pas pour lutter contre un patriarcat entériné, mais parce qu’elles sont selon elle, les seules à « l’aimer pour ce qu’elle est vraiment ». Pire encore, la seule issue est de disparaitre en façonnant Fanny (fidèle amie et servante) à son image, afin qu’après son suicide elle puisse prendre sa place sur le trône comme si personne n’allait s’en rendre compte. A ces grossièretés s’ajoutent d’autres problématiques. Tout d’abord, Sissi s’efforce de maigrir et de de resserrer jusqu’à l’asphyxie son corset, tout cela sans discours. Ce qui apparait comme un symptôme d’une maladie, l’anorexie, est ici présentée, à cause du mutisme régnant autour, comme un combat, et non une affection, qu’il faudrait prendre de front. Quand son mari fait entendre à une servante qu’elle est grosse, Sissi consent. Ses adresses toujours injonctives et condescendantes à l’égard des femmes qui l’entourent, l’attitude compréhensive de son mari envers elle, l’acquiescement sourd et unanime des membres du château à toutes ses actions, isole Sissi des autres, de sorte à ce qu’insidieusement, tout le monde, spectateur compris, s’accordent à penser que oui, Sissi est folle et névrosée et finira sur un lit à côté des femmes à qui elle a rendu visite. L’égocentrisme de l’impératrice est conforté par un esprit bourgeois inhérent à l’ensemble du film. Ce dernier n’a rien à voir avec le milieu aristocratique dans lequel s’inscrit Sissi : il est pleinement conditionné par la réalisatrice. Sa Majesté fait ce qu’elle veut, elle voyage avec approbation, tout le monde la suit, ses désirs sont assouvis, ses amants connus de tous. Sa condition est mise en valeur et aucun engagement ne peut émerger et s’universaliser sans que cette dernière ne soit questionnée. L’impératrice vit dans un confort moins matériel que social, de sorte à ce qu’elle n’ait pas besoin de tergiverser avant de fuir. Le type d’humour mobilisé lui porte aussi préjudice : toutes ses actions révolutionnaires surgissent sans crier gare dans des moments de tension qui ne se prêtent pas à ses insultes, chaque fois mal placées, anachroniques et clichéiques. Deux dernières problématiques traversent le film qu’il est impossible de ne pas noter. D’abord, l’approche des minorités : lorsqu’elle rend visite aux femmes enfermées qui prennent un bain chaud en guise de calmant, Sissi reproduit la scène dans un montage parallèle accablant par son manque de subtilité. Elle se penche sur l’oreiller d’un blessé de guerre (dérivé d’un contexte historique abandonné par la réalisatrice), et fume une cigarette, rêveuse, à ses côtés. Ces personnages sont des appuis qui confortent son égo sans qu’elle ne s’enquière de connaitre leurs histoires, ne prêtant pas plus d’intérêt au consentement de ces personnes qu’elle aurait pu importuner. Ce semblant de générosité recouvre un narcissisme que la réalisatrice ne cherche pas à dépasser. Finalement le film se termine sur le suicide d’Élisabeth, orchestré par ses servantes sur un bateau en mer italienne, absolument grotesque. Le suicide est-il donc une arme pour défendre l’émancipation de la femme, comme l’esthétique théâtralisée surplombée d’un chant mélancolico-fataliste veut le faire croire ? Kreutzer ne met rien en place au niveau formel et technique qui puisse offrir au spectateur les outils intellectuels nécessaires pour mettre en perspective les implications d’un tel acte. Ce long-métrage court à sa perte dès les premières minutes, la cinéaste s’embourbe dans des essais lustrés et vernis qui s’écroulent les uns contre les autres à cause d’un débit visuel qui précipite le contresens, le lapsus et la parodie. Entre contradictions et apolitisme, ce film est un absolu naufrage.

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Durée : 113 mn


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