Marie-Antoinette

Article écrit par

Le troisième film de Sofia Coppola reprend le thème de l´adolescence (difficultés rencontrées durant cette période) qu´elle abordait déjà dans son premier long-métrage Virgin Suicides (1999) ainsi que dans son premier court-métrage Lick the star (1996). Marie-Antoinette n´est encore qu´une enfant lorsqu´elle est promise au futur roi de France pour sceller une alliance entre la […]

Le troisième film de Sofia Coppola reprend le thème de l´adolescence (difficultés rencontrées durant cette période) qu´elle abordait déjà dans son premier long-métrage Virgin Suicides (1999) ainsi que dans son premier court-métrage Lick the star (1996). Marie-Antoinette n´est encore qu´une enfant lorsqu´elle est promise au futur roi de France pour sceller une alliance entre la France et le Saint-Empire. Elle n´est encore qu´une adolescente lors de son arrivée à Versailles. Elle a seulement 15 ans quand pèse déjà sur ses épaules la lourde responsabilité de donner un héritier à la couronne de France et à peine âgée de 18 ans lorsqu´elle devient reine de France, à la mort du roi louis XV. Elle endosse ainsi les devoirs politiques accompagnant cette fonction, devoirs qu´elle n´est en mesure d´assumer vu son jeune âge.

Marie-Antoinette est davantage subjuguée et abasourdie par le décor somptueux du château qu´elle découvre peu à peu. La beauté des pièces ainsi que les couloirs secrets, les portes dérobées, les boîtes magiques l´émerveillent. Cependant, le protocole la rattrape très rapidement et avec lui, les rituels du lever, du coucher, les repas consensuels mais également les médisances et les indiscrétions. Elle devient le centre des conversations et des ragots ; << elle ne peut avoir d´enfant >>, << elle est une espionne autrichienne >>, << on la dit frigide >> entend-elle siffler dans les couloirs.

Pour Marie-Antoinette qui détonne très vite à la Cour de Versailles, la pression devient trop forte. Elle adopte alors une attitude que peuvent avoir toutes les adolescentes, à notre époque même. Elle agit en réaction, préférant la provocation à la conformité. Au lieu de se fondre parmi les Grands de Versailles, elle se démarque, s´entoure de dames de compagnie peu recommandées et organise de grandes fêtes, ressemblant parfois à des orgies.

L´esprit versaillais, qui est à l´égal du très strict découpage des jardins à la française, ne lui convient décidément pas et elle tente d´affirmer son propre style. Grâce à la mise en scène de la réalisatrice, le sentiment qu´elle a d´être en décalage avec Versailles, voire parfois avec son temps, est très bien rendu à l´écran. Les jours se suivent et se ressemblent à la Cour de France, il n´y a guère que ses tenues qui varient tant et tant, et elle s´ennuie. Sofia Coppola filme alors cette rébellion à laquelle se livre cette adolescente qui ne supporte plus le carcan dans lequel elle est enfermée et les pressions dont elle fait l´objet. Par rejet, elle choisit le luxe, parfois même la luxure. Les folies (tissus, chaussures, bijoux, champagne, jeu) deviennent son quotidien, la réalisatrice ayant porté un soin tout particulier aux décors et aux costumes qui rendent tout simplement le film magnifique du point de vue de l´esthétisme.

Par la touche personnelle qu´apporte Sofia Coppola dans le récit, cette vie d´adolescente passant par cette rébellion et le rejet de la société dans laquelle elle évolue semble quasi intemporelle. La bande-son est contemporaine alors que les costumes sont d´époque. De nombreux clins d´oeil de la réalisatrice ramènent le spectateur à son siècle. Le tour de force de la réalisation : dans Marie-Antoinette, on se trouve au XVIIIème siècle sans pour autant que les frontières soient celles du temps. Le film devient alors presque atemporel.

Marie-Antoinette n´est donc pas, contrairement à ce que l´on pourrait croire, une grande fresque historique, le dessein de Sofia Coppola étant tout autre. S´appuyant sur la biographie de la reine écrite par Antonia Fraser, la réalisatrice a souhaité dépeindre une femme. Elle a dressé le portrait d´une adolescente trop vite projetée dans un monde d´adultes, de responsabilités, auquel elle n´est pas prête. L´approche se fait alors d´un point de vue bien plus personnel qu´historique. Beaucoup lui ont d´ailleurs reproché de mettre en arrière-plan de grands moments de l´histoire. Ils sont aussi nombreux à avoir dénoncé les incohérences et les anachronismes qu´elle a placés dans son récit. Mais ce sont essentiellement ces éléments-là qui font le charme et la beauté du film. On parle anglais à Versailles et le français n´est utilisé que par les domestiques ou alors pour dire << Madame >>, << merci >> et << bravo >>. Marie-Antoinette déambule dans les couloirs du château sur fond de Air, The Cure, Phoenix, ou encore The Strokes. Le grand point fort de ce film est d´avoir admirablement réussi à exprimer le sentiment de décalage ressenti par Marie-Antoinette et de nous plonger complètement dans cette atmosphère où les 18 ans de la reine sont rythmés par une chanson de New Order, où des Converse se glissent au milieu des petits escarpins…

L´autre atout majeur de Marie-Antoinette se situe dans la manière d´aborder le récit. Malgré certaines confusions historiques, la réalisatrice nous propose une approche nouvelle de l´histoire de France avec un << Versailles et moi >> conté par Marie-Antoinette. Sofia Coppola pose un regard original et novateur s´inscrivant << dans un courant récent de réhabilitation de certains personnages historiques […] que l´historiographie républicaine militante avait trop souvent réduits à des caricatures >>. Contrairement aux autres films traitant de cette période et de ce sujet, la Révolution française est ici placée en toile de fond, loin d´être un des points-clés du récit. Comment aurait-il pu d´ailleurs en être autrement ? Marie-Antoinette, jeune reine vivant dans sa bulle, enfermée dans sa prison dorée, s´intéresse guère à la politique et se sent très peu concernée par les affaires du pays. Elle ne se rend pas vraiment compte de l´importance des événements qui sont en train de se dérouler hors des grilles du château, dans le << vrai >> monde. La réalisatrice s´en tient donc à son idée première de nous montrer le règne de Louis XVI par le regard seul de Marie-Antoinette, d´une approche intime. On a alors ici Versailles, sa Cour et son étiquette vus à travers les yeux de la dauphine de France, vécus et subis par une jeune fille trop tôt devenue reine.

La complexité d´un personnage quasi mythique…

Titre original : Marie-Antoinette

Réalisateur :

Acteurs : , , , ,

Année :

Genre :

Durée : 123 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Autopsie grinçante de la « dolce vita » d’une top-modèle asséchée par ses relations avec des hommes influents, Darling chérie est une oeuvre générationnelle qui interroge sur les choix d’émancipation laissés à une gente féminine dans la dépendance d’une société sexiste. Au coeur du Londres branché des années 60, son ascension fulgurante, facilitée par un carriérisme décomplexé, va précipiter sa désespérance morale. Par la stylisation d’un microcosme superficiel, John Schlesinger brosse la satire sociale d’une époque effervescente en prélude au Blow-up d’Antonioni qui sortira l’année suivante en 1966.

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur terminale

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur terminale

En 1958, alors dans la phase de postproduction de son film et sous la pression des studios Universal qualifiant l’oeuvre de « provocatrice », Orson Welles, assiste, impuissant, à la refonte de sa mise en scène de La soif du mal. La puissance suggestive de ce qui constituera son « chant du cygne hollywoodien » a scellé définitivement son sort dans un bannissement virtuel. A sa sortie, les critiques n’ont pas su voir à quel point le cinéaste était visionnaire et en avance sur son temps. Ils jugent la mise en scène inaboutie et peu substantielle. En 1998, soit 40 ans plus tard et 13 ans après la disparition de son metteur en scène mythique, sur ses directives, une version longue sort qui restitue à la noirceur terminale de ce « pulp thriller » toute la démesure shakespearienne voulue par l’auteur. Réévaluation…