<< Avancer sans se répéter >> tel était le défi de Faouzi Bensaïdi avec What a Wonderful World. Trois ans après Mille Mois, son premier long métrage, il était question pour le réalisateur de s´éloigner du genre de film << arabe social à vocation humaniste >> et de se rapprocher d´un cinéma qui lui ressemble (selon lui) davantage. Son second long-métrage se revendique ainsi comme un véritable melting pot de genres cinématographiques tels que le cinéma noir, comique ou encore muet ! Et si Faouzi Bensaïdi affirme avoir surtout voulu << s´amuser avec tout ça >>, le spectateur lui, se régale de cette fusion insolite et séduisante.
What a Wonderful World est avant tout l´histoire de deux êtres amoureux l´un de l´autre sans même se connaître. Ici, en l´occurrence, elle, il lui suffit de l´apercevoir pour l´aimer et lui, de l´entendre pour la désirer. Il lui dira d´ailleurs que << ce qu´on aime c´est tout ce qu´on ne connaît pas chez l´autre >>. Mais les envolées lyriques de cet amour quasi impossible (il est tueur à gage, elle est << flic >>) ne suffisent pas à définir l´oeuvre du réalisateur. Toute la force et tout le sens du film se révèlent dans le contexte même de cette histoire d´amour. Tout se passe à Casablanca. Ville duale où la pauvreté cohabite avec la technologie émergeante (Kenza loue son portable quelques minutes pour arrondir ses fins de mois) et où la solidarité est la voisine impuissante d´un individualisme montant (un père mendiant fait tout son possible pour financer le départ en Europe de son fils).
Et c´est au centre de cette scène contrastée que Faouzi Bensaïdi assaisonne son incroyable mixture. Kenza et Kamel (incarné par le réalisateur lui-même), couple improbable de l´histoire, se rencontrent grâce à Souad une prostituée (qui elle aussi arrondit ses fins de mois de femme de ménage). Parallèlement, un jeune hacker rêve d´Europe et de destins plus dorés que ce que lui promet la vie avec son père mendiant. Le caractère des personnages, leur statut et leur métier sont autant d´occasions de basculer dans des tons et des genres différents voire opposés. C´est la vie de ces personnages qui détonne et étonne dans ce film. La vie n´est jamais uniforme alors pourquoi le film le serait ?
La réalisation de Faouzi Bensaïdi fait son marché chez les différents genres de cinéma, et la sauce finale fait plus que prendre. Le générique commence étrangement par rappeler celui de James Bond, puis la présentation des personnages se fait explicitement, comme dans un spot publicitaire (<< elle, c´est Kenza... >>) à l´aide de textes arborant une police aux couleurs acidulées. Puis l´univers sombre de Kamel (le tueur) côtoie volontiers celui de Kenza qui trône fièrement sur son rond-point habituel d´agent de circulation et qui, lorsqu´elle rêve à son prince mystérieux, se plaît à diriger les voitures qui passent telle une chef d´orchestre capricieuse. Lorsque les genres ne se succèdent plus mais se superposent carrément, le film atteint une individualité géniale. C´est le cas de la scène de course-poursuite au centre commercial où non seulement les trois personnages principaux se retrouvent mais aussi où le suspense se lie avec le burlesque (les gendarmes qui poursuivent Kamel semblent sortir tout droit d´un épisode de Bennie Hill) et avec le mélodramatique (<< chassé-croisé amoureux >>).
Même si l´univers dépeint par le réalisateur n´est au final pas si << wonderful >> que ça, le regard qu´il pose dessus tend à changer celui du spectateur. Si la modernité apporte son lot d´individualisme ou << incommunicabilité >> comme l´exprime Faouzi Bensaïdi, elle permet aussi à la femme de s´émanciper doucement. What a Wonderful World offre une image de la femme arabe pleine de force, d´initiative, d´exigence mais aussi pleine de doute et de fragilité. Les répliques parfois triviales de Souad viennent renforcer cette image. Enfin, si le rapprochement des deux âmes soeurs ne se fait que métaphoriquement au final, la mise en scène exprime tout au long du film les frontières trop minces qui ne cessent de les séparer (une fontaine ou un mur au milieu des deux personnages par exemple).
What a Wonderful World se ressent donc par la pureté de sa réalisation, capable de mélanger des ingrédients cinématographiques jusqu´alors restés isolés. Le réalisateur affirme qu´il << avance à l´instinct >> et que, << quand il commence à rêver, à écrire, le film est là >> . Eh bien qu´il continue à rêver, l´accueil chaleureux et impatient des spectateurs sera là lui aussi !