Cette première journée, pluvieuse, commence par une annulation de mon train de Reims pour rejoindre le site du festival à Châlon en Champagne…Alors que cela n’augure rien de bon, l’arrivée d’un train de secours, une réception par un bénévole du festival (qui à donc commencé depuis lundi) ainsi qu’un accueil professionnel et chaleureux de la part de l’équipe, renversent la vapeur et me mettent dans de bonnes conditions pour débuter le visionnage des films. Je suis aussi heureux de constater la présence de classes, d’un collège ou d’un lycée, venues participer au festival. Dans la grande salle principale on attire mon attention sur un gadget : une séquence en VR de 30 minutes qui vous immerge dans une tranchée de la Première Guerre mondiale. C’est alléchant, mais ce sera pour une prochaine fois car, pour l’heure, je dois foncer à ma première séance : Mexico 86, un film en compétition et qui se joue dans la magnifique salle de théâtre du lieu.
Hélas, ce premier film au scénario prometteur tant son cœur est cornélien : une communiste guatémaltèque expatriée au Mexique doit choisir entre son devoir de révolutionnaire et son fils et tente, malgré les menaces, de concilier les deux durant la coupe du monde 1986…est bien fade. Cette fadeur tient surtout à sa mise en scène archi convenue qui se contente de filmer son histoire sans essayer de la transcender ou de dépasser son sujet. Comme si cela pouvait se suffire en soi. Ajouter à cela des jeux de comédiens assez limités, bien que justes, alors que Bérénice Béjo est de tous les plans, et il résulte qu’à la mise en scène convenue s’ajoute une absence d’empathie à l’égard des personnages. Dommage, tant le sujet, par nos latitudes, est peu représenté.
Mais pas le temps de s’apitoyer, la seconder séance va commencer dans quinze minutes, le film sera projeté dans le cinéma au dernier étage. Et cette fois-ci, cet étrange documentaire qu’est Hollyvoodgate est une réussite. Pensez donc : un journaliste est parvenu à convaincre les talibans, le jour suivant le départ américain de Kaboul, de le laisser tourner. Ils ont accepté dans la mesure où il devait filmer ce qu’ils lui disaient de filmer. En résulte une ambiance très proche du Général Amin Dada : autoportrait de barbet Schroeder. Car en se laissant faire, en laissant parler ces talibans tel qu’ils le souhaitent et parce que leurs tentatives de manipulation sont d’une évidence crasse, l’auteur en décortique la bassesse comme la folie, et obtint un ton à la fois acide et intelligent. Il est acide dans la mesure où la répétition d’affirmations et de situations ubuesques ou délirantes se teinte d’une ironie glaçante, dans la mesure où la population civile, à commencer par les femmes, endure le calvaire à cause de ces fous. Il est intelligent en ce qu’il mène à réfléchir le rapport à la propagande, à la manipulation par l’image, mais aussi aux manières de détourner la censure, ou de la retourner contre le censeur qui se croit plus malin que les autres. Ajoutez à cela une réflexion plus générale sur l’impact d’un conflit de grande durée sur la psyché humaine et l’on obtient un très bon documentaire particulièrement troublant.
Mais pas le temps de respirer, le troisième film va débuter, dans le théâtre celui-là. Et il s’agit d’un classique : État de siège de Costa Gavras ; l’un dès invités de marque de ce festival. Et que dire de ce chef d’œuvre ? Il a été tourné au Chili, avec l’accord d’Allende peu avant le coup d’État et n’a pas été reçu avec grand plaisir aux USA (bah tiens…). Et pour cause : dans un pays d’Amérique latine on retrouve un homme mort sur le siège d’une voiture. Cet américain, ainsi que plusieurs hauts responsables étrangers, avait été enlevé une semaine plus tôt par la rébellion communiste qui l’accusait, lui et ses complices, de préparer le pays à la dictature fasciste. Le film observe donc le parcours de cet homme durant cette semaine fatidique. Cette œuvre n’a pas pris une ride et on peut y sentir toute la puissance du style de Gavras. Un style qui se caractérise par l’usage des codes du polar pour s’introduire dans une réalité dure et percluse d’injustices. Une image très dynamique et d’allure faussement journalistique pour mieux immerger le spectateur. La mise a nue de l’ambiance d’un pays, d’un milieu, mais aussi, et surtout, d’un système supra-étatique déshumanisé, quasi-autonome et totalitaire dans lequel les individus ne sont que des rouages. L’humanité, voire la tendresse, de tous les personnages présents qui, trop conscients de n’être justement que des rouages, ne s’énervent jamais et acceptent leur destin funeste. Une beauté, des couleurs froides, mais surtout de la musique de Mikis Théodorakis, qui joue ici du contre-pied. Des séquences qui mènent à questionner tout média, cinéma inclus, dans le processus fascisant de la société… Bref, un grand style pour un immense metteur en scène. Un metteur en scène que je ne peux observer qu’un court instant, alors qu’il entre sur scène pour causer avec une critique de cinéma et le public, car il se fait bien tard, et j’ai mon compte rendu à rédiger…
C’est une belle première journée à laquelle a assisté votre serviteur, qui offre déjà un beau panorama très divers dès conflictualités comme d’approches esthétiques pour les représenter. Espérons qu’il en sera de même demain.
A suivre…