Il s’agit ici d’un voyage secret entre la Sicile et Rome pour un frère et une sœur que la vie a malmenés. Voyage intérieur en fait pour Leo Ferri, ce frère, psychanalyste de son état et qu’on sent bouleversé par son enfance qui l’a plongé, avec sa sœur, dans une sorte d’aventure traumatisante, faisant de lui un homme introspectif, qui ne conduit pas et ne prend pas l’avion, peu capable donc de gérer facilement sa vie. Il va pourtant être obligé de se prendre en main au moment où il apprend que sa jeune et belle sœur est sur le point d’épouser un artiste serbe vivant à Paris et qui crée des écrans-mémoire à la manière de Boltanski. Fait concomitant à la vente de la maison d’enfance en Sicile dans laquelle il sera obligé de se rendre, ces allers et retours le troublant au plus profond de son âme en faisant renaître en lui la scène originaire ou primitive chère aux psychanalystes.
Il faut dire que ce film tombe à pic au moment où, du moins par chez nous, la psychanalyse et son père sont mis à mal par de jeunes blancs becs non dénués sans doute d’une volonté de puissance et de médiatisation. Ce qui est intéressant ici, hormis la belle mise en scène et la qualité de l’image, c’est que tous les thèmes récurrents de la cure analytique sont présents, comme si Leo pratiquait sur lui-même sans le vouloir vraiment, une sorte d’analyse décousue qui lui permet (en fait grâce à la mer Méditerranée omniprésente) et à une passeuse elle aussi déjà mère d’une petite fille, de renouer avec ses vieux démons pour mieux les exorciser et les démystifier.
Ce voyage secret, secret parce qu’intérieur d’où la prolifération des flashback pour une fois très utiles et non décoratifs, permet des retrouvailles avec le passé. Celui-ci est représenté par le prêtre, le père, les lieux et les photographies d’enfance (dont un instantané sur la plage du frère et de sa petite sœur enfants), réutilisés et magnifiés dans une composition artistique d’Harold et qu’on découvrira au cours d’une exposition, sorte de point d’orgue de l’analyse. Tout sera éclairci tout au long de ce film-analyse et la vérité sur la mort de la mère, accident ou assassinat, sera bien sûr éclaircie mais on n’en dira rien. Si, pendant la projection, s’éveillent en nous des soupçons hitchcockiens, notre étonnement est grand à la conclusion du récit, même si les motivations de cet acte fondateur de la névrose familiale sont difficiles à interpréter.
Bref, un bon film qui fait agréablement "psy psy" partout, sans prise de tête et sans prétention. Leo, en équilibre instable, va peut-être retrouver sa vie et ses amours, ou les perdre pour toujours, dans ce voyage secret qui ravage sa mémoire. D’où la référence explicite à l’art boltanskien et à Kusturica lequel déclare au cours du film que, dans son village, la seule façon de vivre, est de tenter d’oublier. On pense bien sûr à la guerre de Bosnie, mais aussi à tous les malheurs et horreurs qui peuvent ravager vies privées et civilisations.