L’amusement est, bien sûr, purement factice, et le pigeon du titre est en fait un volatile empaillé, enfermé dans une cage artificielle et exposé dans un musée. L’oiseau ouvre le film et lui donne son motif principal : les vivants sont ici devenus des morts-vivants, dont l’existence serait plutôt celle de fantômes, comme l’un des marchands le reproche justement à l’autre – “tu marches comme un zombie”. Pour mieux le souligner, tous les comédiens arborent un maquillage excessivement pâle, qui leur donne un teint cireux : manière de dire que l’homme n’est qu’un pantin, figurine posée là dans la vie et qui n’a qu’à s’en dépatouiller comme elle peut. L’argument est valable mais un rien programmatique, et ne dévie jamais de sa feuille de route : de la professeure de tango un peu trop tactile au gardien d’asile taciturne en passant la tenancière d’un bar qui, des années 30 à nos jours, n’a pas tellement changé, tous sont les jalons d’une existence figée, sorte de mur à abattre jour après jour.
La proposition est évidemment singulière, et la mise en scène un bel exercice d’agencement des personnages et de l’espace, où l’arrière-plan n’est jamais anodin : Un pigeon… multiplie les détails, et c’est souvent dans le fond de l’image que se dévoile l’intrigue la plus savoureuse. Se dégage pourtant, au milieu de cette profusion d’idées (très belle séquence de comédie musicale dans un bar de Malmö), un sentiment d’inertie qui finit par plomber le film. A trop tirer les fils des marionnettes que sont ses personnages, Roy Andersson finit par les vider de toute vie, les laissant aussi raides que désarticulés, et donnant à Un pigeon… une impression d’asphyxie aussi désagréable que son imagerie est, elle, passionnante.