Touchez pas au grisbi (1954)

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La résurrection de Gabin et la naissance de deux nouvelles stars.

Agacé par la bêtise de son partenaire Riton, dont la nouvelle gaffe met en péril leur coup à 50 millions de francs, Max « le menteur » (Jean Gabin), un parrain de la pègre, marmonne dans son coin. Mais en voix-off. Comme si l’illustre star, s’extrayant de son rôle, méditait sur son avenir et sa succession au sein du cinéma français.

Il faut voir Touchez pas au grisbi comme un portrait de Gabin. Après une décennie de longue traversée du désert, Jacques Becker offre à l’acteur une nouvelle jeunesse. Ou plutôt, une vieillesse épatante. À travers Max, truand sûr de lui et maître de son petit monde, Gabin entame une nouvelle étape de sa carrière : il laisse derrière lui les rôles de jeune premier qui avaient fait son succès avant-guerre (Pépé le Moko – Julien Duvivier, 1937 – La Belle équipe, Julien Duvivier, 1936 – Gueule d’amour, Jean Grémillon, 1937), et accepte à présent son entrée dans la cinquantaine. Avec toujours autant de classe. Désormais, il mettra tout son talent d’acteur dans des personnages aussi bonhommes que Max, des bandits au grand cœur, auquel Jean Valjean offre un prolongement moral.
Revenons à la séquence de la voix-off. En déplaçant les réflexions de Max du in au off, Jacques Becker ne fait pas que mettre en scène les pensées du personnage. Il les rend d’ordre méditatif, comme si Gabin pensait à sa relève, de même que Max, par une mise en abyme de sa carrière, se cherchait un successeur. Max fustige Riton (René Dary), qu’il considère comme « très con » ; cette insulte proférée par l’un des plus grands acteurs français aurait-elle maudit Dary, cantonné après ce film à une succession de seconds rôles dans des films oubliés ?

Il faudra chercher la relève ailleurs. On la trouve à deux endroits. Du côté masculin, surgit pour la première fois à l’écran le jeu physique de Lino Ventura, qui incarne Angelo, le rival de Max – et de Gabin lui-même à l’avenir. Du côté féminin, c’est l’apparition de l’insolente Jeanne Moreau, qui, dans son rôle de Josy, amante de Riton et d’Angelo, tient tête aux coups de gueule de Gabin. Deux figures emblématiques du cinéma français, qui naissent en opposition (et en hommage) à la grande gueule d’amour. La passion que voue le personnage de Max au juke-box de son restaurant fait écho à son parcours : pareil au thème principal de la BO, à base d’harmonicas tristes et moqueurs, Touchez pas au grisbi représente le prémonitoire chant du cygne de Gabin.

Mais trop centré sur Gabin, le film manque de force. Par-rapport aux films noirs américains antérieurs, ou même à ceux contemporains de Clouzot, l’œuvre de Becker n’a pas la même ambition formelle. Très narratif, envahi de mélodramatique, il ne va pas aussi loin dans la stylisation expressionniste. De violence et de vengeance, il n’est question qu’à la fin. Paradoxal pour un film de gangsters, où, en fin de compte, le dialogue prend le pas sur la mise en scène, et la légèreté sur la noirceur.

 

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