Tempête de sable

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Ce souffle bédouin dépeint finement un sac de contradictions, dont les noeuds sont les membres d´une même famille.

Une tempête a soufflé en septembre dernier en Israël, vent pourtant peu relayé en France : Tempête de Sable a remporté six Ophirs, l’équivalent israélien des Césars, dont ceux du meilleur film et de la meilleure réalisatrice, après avoir gagné le Grand Prix à Sundance dans la section « films étrangers ». Tempête, parce qu’Israël a choisi un film en langue arabe – le dialecte des bédouins du désert du Néguev – pour le représenter aux Oscars cette année. Ce sable n’est pas seulement celui du village où l’intrigue se déroule, c’est aussi celui, plus symbolique, des traditions qui ensablent les protagonistes de ce film.

Un jeu de miroirs étudié

Dès les premières minutes du film, le spectateur est plongé dans un drame intérieur : Jalila voit son mari Suleiman épouser une deuxième femme, Tasnim, et doit ravaler son humiliation afin d’organiser l’accueil de sa nouvelle rivale. Une fois cette pilule avalée, elle découvre que sa fille aînée, Layla, fréquente un autre étudiant de son université, Anuar, condisciple de l’université de Beer-Shev’a. Bien qu’à quelques minutes de la ville, les traditions villageoises interdisent à Layla de fréquenter un étranger à la tribu, sans quoi elle ferait honte à sa famille. Au contraire, Layla doit se soumettre à la décision de son père, qui ne fait – prétexte-t-il – que suivre la coutume, à savoir enjoindre sa fille d’épouser un homme de la tribu, afin qu’elle ne quitte pas le village.

Les parents, conscients du poids qui pèse sur leur jeune fille, s’interrogent sur la conduite à tenir afin de la préserver – tout en restant fidèle à leurs mœurs. Jalila, qui très vite s’affirme comme une femme forte, souffre de partager son époux, et hésite à interdire un amour libre à sa fille ; Suleiman, qui est conscient de ce qu’il impose à sa femme et à sa fille, désire toutefois garder la face aux yeux des hommes du village ; Layla veut vivre sa vie sans pour autant hypothéquer l’unité familiale. A l’écart de ce triangle de tensions, les personnages secondaires ne sauraient se réduire à de simples faire-valoir, et demeurent préservés de ce climat anxiogène : Anuar ne risque pas sa réputation, protégé par sa masculinité ; les petites sœurs de Layla ne sont que légèrement affectées, préservées par leur commune innocence ; Tasnim, empotée comme une mariée en pâte d’amande, sait son ridicule et ce pourquoi on l’a épousée.

Un sac de nœuds familial

Le film trouve sa force dans l’enchaînement des scènes qui, successivement, introduisent des nuances bienvenues. Alors que les premières minutes peignent le drame intérieur de Jalila, qui se voit surclassée par une seconde épouse plus jeune, c’est ensuite que Layla voit son histoire d’amour dévoilée à son insu. Cette succession permet à Layla de voir un avenir qu’elle veut fuir – celui de sa mère – tandis que cette dernière, consciente de sa prison, hésite à en libérer sa fille. En dépit de l’opposition radicale qui rive leurs conceptions de la femme, de l’amour, chacune aura besoin de l’autre pour sortir de sa position solitaire. Le père lui-même n’est pas insensible à l’éclatement de sa famille : le film refuse intelligemment d’en faire un phallocrate sans cœur, pour montrer au contraire la pression tribale qui s’exerce sur lui.

Malgré le contexte politique évident dans lequel le film aurait pu s’épuiser, rien n’indique clairement que l’intrigue se déroule en Israël, à l’exception de références allusives aux checkpoints. Ce sable des traditions, qu’il soit israélien ou simplement désertique, il semble bien que nos protagonistes doivent, tels des sables mouvants, s’y enliser, alors même que Beer-Shev’a et sa modernité ne sont qu’à quelques minutes. Ce parti pris de mettre la focale sur ces bédouins est salutaire : il permet de les étudier pour ce qu’ils sont, des êtres pris dans leurs nœuds familiaux, et qui peinent à s’en défaire. Loin donc d’être filmée comme objet d’exotisme, la culture bédouine nous est présentée dans le jeu de ses propres codes, en sorte que le spectateur y découvre une (surprenante) familiarité qui accroche l’esprit – pour l’œil, la magnificence du Néguev et l’intelligence des plans jouent parfaitement leur rôle.  

Sous la pression tribale, une possible liberté

Le film tisse ces traditions en alternant les événements retentissants – mariage, amour clandestin, répudiation – et ceux, quotidiens, infimes, mais non moins infâmes – tel ce sol que Jalila et Layla doivent laver, mais qui, poussière faisant, s’encrasse sans cesse. La subtilité du film tient aussi au personnage du Jalila, interprétée par la charismatique Ruba Blal, que nous suivons bien plus que Suleiman : elle s’avère être la véritable maîtresse, tançant son mari de mépris, au regard de ses bévues et maladresses manifestes. Un mari qui, s’il n’est qu’un piètre breadwinner – le jeu en demi-teinte de Hitham Omari montre comme son personnage est, sans mot dire, dépassé par ses propres actions –, demeurera toutefois le maître : la loi tribale saura le rappeler.

La morale de ce film demeure dans une heureuse indécision. Sans manichéisme, chaque membre de cette famille doit accepter d’abdiquer sa part de confort : pour Layla, l’inconditionnalité de son amour ; pour Jalila, le contrôle réglé de son foyer ; pour Suleiman, la posture virile qu’il tient pour la montre. Chacun a le choix de se libérer des chaînes tribales, quand bien même ces dernières pèseraient lourd. Le décor résume cette tension : un film qui se tient en quasi-huis-clos dans le foyer et ses valeurs tribales, alors même que le désert et sa vague liberté s’étendent à perte de vue. La fin du film se tient entre aliénation et liberté : il s’agira pour le spectateur d’interpréter le choix final de Layla. Interprétation dont Sartre nous a déjà donné la clé : « Si les valeurs sont vagues, et si elles sont toujours trop vastes pour le cas précis et concret que nous considérons, il ne nous reste qu’à nous fier à nos instincts. » Le film ne dévoile pas les raisons profondes du choix de Layla : « au fond, ce qui compte, c’est le sentiment ; je devrai choisir ce qui me pousse vraiment dans une certaine direction ». Le spectateur reste sur sa faim : charge à lui d’en faire sa fin.

Titre original : Sufat Chol

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Durée : 97 mn


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