Still the Water

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Amour et mort se disputent les côtes battues par les typhons des îles Amami dans le nouveau film de Naomi Kawase, belle évocation d´une vie en dehors du temps.

A qui n’apprécie pas beaucoup le cinéma de Naomi Kawase, son dernier film ne marquera guère plus qu’un nouveau jalon dans une oeuvre travaillée par le spirituel, la famille et le rapport à un temps suspendu, languissant. Aux autres, Still the Water offre la promesse renouvelée d’un cinéma sensible, placide mais jamais dénué d’enjeux, qu’on pourrait croire naïf s’il n’affichait pas avec une telle assurance une foi indéfectible dans les traditions ancestrales et le rapport étroit entre l’homme et la nature – cette dernière ayant en tous points l’ascendant sur le premier. Sur les îles Amami, les habitants vivent en symbiose avec les éléments naturels, et croient qu’un dieu habite toute chose, arbre, plante, caillou. Le cadavre d’un homme est découvert sur une plage, c’est le point de départ d’un récit initiatique où deux jeunes gens, Kaito et Kyoko, vont apprendre l’amour et la sexualité. Lui habite seul avec sa mère divorcée et vit mal ses nombreuses aventures ; elle est la fille d’une chamane qui se meurt d’une maladie incurable. Bientôt, un typhon balaye les environs.

Jamais autant Naomi Kawase, pourtant coutumière du fait, n’avait mêlé aussi idéalement les faces documentaire et fiction de son cinéma. Si elle ne sacrifie toujours pas à une narration linéaire ou très structurée – son oeuvre est l’affaire de micro-moments, d’instants presque imperceptibles saisis avec patience -, elle donne avec Still the Water un film peut-être plus immédiatement abordable, avec plusieurs branches auxquelles se rattacher. Il y a, d’abord et comme à son habitude, l’observation très précise d’un quotidien traditionnel et loin de nous qu’elle offre à voir avec respect et délicatesse (là encore, l’une de ses forces) : c’est panthéiste, il faut admettre que les dieux sont tout autour, comme la mort qui, ici, rôde partout. Elle n’élude pas la violence des traditions, mais exige de s’y intéresser quand on saigne une chèvre et que sa caméra capte, peut-être, l’âme qui s’en va. Ailleurs, c’est sa très fine peinture de l’éveil amoureux qui émeut : ce n’est pas follement original, mais elle sait, par exemple, filmer la rencontre des corps de deux jeunes amoureux au beau milieu d’une mangrove avec un tact immense.

 

 

Still the Water
avance par à-coups, eux aussi plutôt invisibles mais bien présents. Plusieurs scènes s’entrechoquent en douceur : un voyage à Tokyo, ville grouillante, contre la tranquillité d’Amami ; des accès de colère adolescente contre une vie insulaire calme où l’on fait du vélo, où l’on se baigne tout habillée – ou tout nu. A ces intempéries de la vie répondent joliment les conditions climatiques : aux deux tiers du film, un typhon violent ravage les côtes de l’île, la placidité de l’eau et le beau fixe qui s’ensuit n’en sont que plus frappants. La temporalité adoptée par Naomi Kawase est toujours aussi lente, il s’agit, ici plus que jamais, de laisser naître quelque chose au sein même de la scène – une émotion, un incident. Cette immobilisme apparent peut rebuter, mais la persévérance est largement récompensée par, au grand minimum, une scène majeure, celle de la mort de la mère. Dans la longueur, et dans un entremêlement fiction-réalité miraculeux (habitants du village côtoyent acteurs professionnels), Kawase réussit une séquence de transe tout à fait ahurissante, qui rappelle que son cinéma, loin d’être décoratif, est capable de sérénité comme de la plus éclatante vitalité.
 

À lire
: l’entretien avec Naomi Kawase.

Titre original : Futatsume no mado

Réalisateur :

Acteurs : ,

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Genre :

Durée : 119 mn


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