Soit je meurs, soit je vais mieux

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Maladroit, politiquement flou, sinon irresponsable, le dernier film de Laurence Ferreira Barbosa déçoit en même temps qu’il s’expose à une très grande perplexité.

Beau titre pour étrange objet. Le nouveau film de Laurence Ferreira Barbosa saisit la relation ambigüe s’instaurant entre Martial (François Civil), un adolescent cherchant tant bien que mal sa place dans son nouveau lycée et Ernestine et Colette (Karine et Marine Barbosa, aucun lien de parenté avec la cinéaste), deux jumelles métisses un peu marginales. La mise en place ne manque pas de charme, grâce à l’aptitude de la cinéaste (ici comme dans tous ses films) à conférer à l’ordinaire une étrangeté sans excuse. Tout s’enchaîne sans que ne soit bien nécessaire de chercher une quelconque explicitation. Tant que rien ne repose sur davantage qu’une simple ouverture au bizarre, sans souci de conformité à une réalité référentielle, la partie reste engageante.

Mais la séduction sera de courte durée. Assez vite, au fur et à mesure que le trio avance dans ses jeux interdits (pénétrer  pour rire  dans des intérieurs bourgeois, jouer la vie des autres), se mêle à la réception de l’action un embarras, une gêne inhérente précisément au manque de distance de l’auteur dans le suivi de ses personnages. Toute alliée à leur absence de cause (ils commettent ces infractions moins par rébellion que par automatisme… bêtement), Laurence Ferreira-Barbosa ne parvient jamais à conférer à ces derniers l’épaisseur nécessaire à leur accessibilité durable. Trop d’insouciance pour pas assez de matière. Vient alors à l’esprit la récente polémique ayant accompagné la circulation sur le net de Stress, le nouveau clip du groupe électro Justice.

Si Martial et les filles s’avèrent moins « violents » que la bande de jeunes Noirs et Arabes de Stress (l’une des principales matrices du scandale, outre l’exposition sans jugement moral des actes, est le typage des protagonistes), delestés de toute furie plus ou moins « révolutionnaire », la seule visibilité des faits suffit à interroger. Faut-il adhérer sans mesure à leur mouvement, s’identifier aux protagonistes au prétexte d’un supposé souffle subversif ? S’offusquer, au contraire, du manque total de visibilité, pour ne pas dire de « responsabilité » des adultes (entre la folie douce de la mère de Martial, l’inconséquence de son père, les profs restant hors-champs, lointains échos, nulle autorité ne se devine jamais) ? Progressiste dans un cas, réactionnaire dans l’autre, le spectateur se retrouve ainsi pris dans une discutable neutralité, interdisant progressivement toute installation.

Ce malaise aurait pu trouver pertinence dans le cas d’un surréalisme assumé, de la clarification, même partielle, des enjeux de cette fiction. Si ces gamins évoluaient dans un monde extérieur à notre contemporain, pourquoi alors insérer in fine le poids d’un retour à l’ordre par le biais d’une soudaine intervention de la police ? Pourquoi les condamner à rendre  finalement  compte de leurs actes ? Le format court permettait à Romain Gavras et Justice d’ouvrir leur œuvre à la fluctuation des interprétations. Libre à chacun de percevoir dans ce clip ce qu’il veut. Si ces Jeunes t’effraient, peut-être est-ce le simple signe de ta profonde peur du Loup… A l’inverse, si tu adhères sans t’offusquer à notre trajet, peut-être révèles-tu une colère longtemps cloisonnée sous le masque d’une certaine « civilisation » ? Ou peut-être ne vois-tu ici rien d’autre que le cours d’une action ne requérant nulle positionnement ?

Ce béhaviorisme, ce suivi sans jugement d’une trajectoire, finalement assez voisin du jeu vidéo, trouve, sous le regard par exemple d’un Gus Van Sant, une grande pertinence cinématographique. Les personnages de Gerry, Elephant, Last Days ou Paranoïd Park, libres de toute loi, tracent leur chemin préservés par leur espace mental. Que leurs actes soient « criminels » ou non, who cares, puisqu’est immédiatement saisissable que n’a  d’importance  que la ligne claire de leur avancée. L’autisme de ce cinéma est sa chance comme sa signature : tout s’y déroule « sous vide », déconnecté des possibles exigences d’un réalisme. Autistes, les ados de Soit je meurs, soit je vais mieux ne le sont manifestement pas. Les jumelles, mystérieuses et muettes au départ, perdront progressivement toute complexité. Martial, à mille lieux de ses homologues van santiens, apparaîtra finalement juste pas bien futé.

Reste que chaque film de Laurence Ferreira Barbosa partage toujours un peu. La certitude de la réserve quant à ce dernier opus s’accompagne du sentiment étrange d’un insaisissable supplément. Ce qui apparaît comme maladresse pourrait être piétinement volontaire, ratage presque conscient. Soit je meurs, soit je vais mieux n’en demeure pas moins, tel quel, un film trop claudicant pour séduire durablement.

Titre original : Soit je meurs, soit je vais mieux

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Durée : 113 mn


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