Salvador

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Avant « Platoon », Oliver Stone envoie James Woods dans un Salvador à feu et à sang. Sans armes.

Un sol jonché de cadavres, des explosions autour de lui, Richard Boyle (James Woods) se sent vivant. Le journaliste américain quelque peu paumé des premières 90 minutes, bon samaritain éméché voulant se sauver lui-même en faisant le bien autour de lui a disparu. Une seule chose compte désormais : l’image. Capturer ces visages déformés par la douleur, enlaidis par la colère ; saisir ces visages sans vie à ses pieds. Appareil photo entre les mains, le voilà transformé. Paradoxalement ancré dans l’instant, mais comme déconnecté de ce qui l’entoure. Déconnecté du Salvador qu’il aime, de la femme qu’il y a trouvée, de ses amis. La façon qu’il a d’immortaliser cette guerre autour de lui, ne relève plus vraiment du journalisme mais tient quasiment du mystique ; d’une fascination profonde pour l’image choc, la violence, les couleurs, la lumière qui s’en dégage. Salvador emmène ses spectateurs jusqu’à cette fascination, jusqu’à ces montagnes de cadavres, assez démesurées pour qu’on ne voie qu’elles. C’est là que Richard Boyle y va chercher sa vérité. Oliver Stone également.
Après deux séries B passées plutôt inaperçues (La Reine du mal en 1974 et La Main du cauchemar en 1981), Salvador est le plus souvent considéré comme le premier véritable film d’Oliver Stone. La première réalisation où se retrouve tous les éléments qui hanteront son cinéma vingt années durant : le flirt avec le cinéma-vérité (le véritable Richard Boyle co-scénarise le film), un regard critique sur la politique américaine, la fascination pour la violence et sa mise en image… Si Salvador est bien ancré dans le cinéma des années 1980 (manie de la punchline, score très « daté »…), il possède surtout la marque d’un réalisateur qui, film après film, avancera obstinément dans la même direction. Sorti en salles aux États-Unis la même année que Platoon, les ressemblances entre les deux films ne manquent pas. Au Vietnam chez l’un, au Salvador chez l’autre, les héros d’Oliver Stone se retrouvent là où ils ne peuvent que se perdre. Tout ce qui les entoure les dépasse. Mais que ce soit Chris Taylor (Charlie Sheen) dans Platoon ou Richard Boyle perdu au Salvador, les yeux grands ouverts, ils n’auront de cesse d’essayer de comprendre ce monde qui s’impose à eux. En vain forcément, et c’est là que Stone arrive à toucher juste.

 

Jamais condescendant, le réalisateur américain ne cherche pas l’exotisme. L’incompréhension de Richard Boyle face aux habitants du Salvador est la même que Chris au Vietnam. Très critiques vis à vis du gouvernement américain engagé dans ces deux guerres, Chris ne pourra pourtant jamais se mettre à la place des vietnamiens ; Richard à la place des salvadoriens. Si Stone s’engage à travers Salvador, il ne cesse de nous montrer à chaque plan son impuissance face à un conflit qui lui échappe. Richard Boyle répète à plusieurs reprises qu’il se sent bien dans dans ce pays, qu’il se sent chez lui. Journaliste borderline mis à l’écart par nombre de journaux, ce qu’il trouve au Salvador n’est que le chaos dont il avait besoin pour survivre. Proche d’une population terrorisée, d’une femme qu’il chérit après en avoir laissé une autre « au pays », Richard cherche une rédemption qu’il ne trouvera jamais. Malgré tout le bien qu’il pense faire dans ce pays, seul lui compte. Oliver Stone bâtit son film à travers les yeux de Richard et son instabilité constante renforce encore plus le sentiment de flottement de Salvador. L’équilibre n’étant trouvé que lorsque son héros redevient lui-même, comme débarrassé d’un humanisme trop lourd à porter. Lors des magnifiques scènes de guérilla où le photographe, passant d’un camp à l’autre n’existe que pour lui. Ou quand il décide de ramener sa femme et ses enfants, le peu de bonheur qu’il a, aux États-Unis. Besoin égoïste caché derrière une bonne action : en leur faisant quitter le Salvador, il leur sauve la vie. Mais Stone reprend rapidement les commandes.

Les photographies de Richard répondront aux plans de corps calcinés, de crânes détruits filmés auparavant par Stone. La femme et les enfants du photographe ne connaîtront que la frontière des États-Unis, ramenés rapidement dans leur pays. Le rêve américain d’Oliver Stone, réussir à changer le cours de l’Histoire avec des images, se réalisera en 1991 avec JFK, qui aura le rôle d’un électrochoc pour toute une partie de l’Amérique. Mais son cinéma n’est jamais plus déroutant que lorsqu’il met un genou à terre et abdique comme ici, n’offrant que des cris, des pleurs et du sang. Peu importe l’intention. Peu importe le résultat. Les images sont là, et restent.

Titre original : Salvador

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Durée : 115 mn


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