Rencontre avec Bavo Defurne

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Un amour de jeunesse sur la côte flamande. À l´occasion de la sortie de « Sur le chemin des dunes », rencontre avec son réalisateur, Bavo Defurne.

Au cœur d’un cinéma flamand en pleine expansion (La Merditude des choses de Felix Van Groeningen en 2009 ; Bullhead de Michael R. Roskam dernièrement…), Bavo Defurne nous arrive avec son premier long métrage, Sur le chemin des dunes, après plusieurs courts remarqués et primés en festivals. C’est l’histoire d’un jeune homme de quatorze ans qui tombe amoureux de son voisin, à peine plus âgé : un joli film de coming of age plus que de coming out, où l’onirisme le dispute à la gravité de l’adolescence. Rencontre.

D’où est venue l’idée du film ?

C’est l’adaptation d’un roman (Nooit gaat dit over – André Sollie, 2004) dont je suis resté très proche pour le scénario. C’est un livre dans lequel les gens ne parlent pas beaucoup, ce qui me plaisait : je n’avais pas envie d’un film avec beaucoup de dialogues. Tout se dit au sein des mêmes des situations, dans les tensions entre les personnages. C’est un livre très court, j’ai donc ajouté des scènes, pour passer d’une sorte de libre association d’idées poétiques à une structure plus ordonnée et dramatique. J’aimais l’esprit du livre, qui fait figure d’exception : c’est une histoire de coming of age (passage à l’âge adulte, en gros), mais jamais déprimante. D’habitude, deux garçons tombent amoureux, et c’est le drame. On a vu trop de films où ça fait mal.

Il y a peu de confrontations dans votre film, comme si tout se déroulait de manière idéale…

Les films à thématiques gay mettent souvent le jeune homosexuel face au monde. Sur le chemin des dunes raconte simplement une histoire d’amour : un garçon est amoureux d’un autre garçon, c’est tout. Ça ne m’intéressait pas d’aller trop loin dans les réactions des parents, de la ville. Je suis toujours surpris de lire des critiques qui parlent de « film de coming out ». Personne ne fait son coming out. Pim aime Gino, mais son souci, c’est juste de convaincre son voisin, pas le monde ! En Flandres, il y a encore une grande tradition catholique, il est très difficile de parler de sexualité, encore plus d’homosexualité. Et pourtant, on peut ne rien dire et accepter en silence. Une réaction comme celle de la mère (sur son lit de mort, elle fait s’unir les mains de Pim et Gino) est assez typiquement flamande, finalement : une certaine acceptation qui devient un mariage symbolique.

En Belgique, le mariage homosexuel est d’ailleurs autorisé depuis 2003…

André Sollie, l’auteur du roman, a 60 ans, s’est marié avec un homme il y a quelques années ; il a écrit le livre à ce moment-là. Moi, je ne suis pas marié, mes courts métrages parlaient toujours de rejet, de difficultés à trouver l’amour… C’est pour ça que j’ai aimé son histoire optimiste. Je me suis rendu compte que depuis dix ans, les mariages homosexuels étaient autorisés, et qu’il n’y avait jamais eu de film sur le sujet, en Flandres en tous cas. Et en tant qu’artiste, il me semble important de proposer une réflexion sur ce qui se passe positivement sur le plan politique. Pour une fois, mon film n’est pas un combat contre la société.


La photographie de Sur le chemin des dunes est très travaillée, très soignée. Ses couleurs éclatantes lui donnent un aspect onirique, on pense parfois à Kaurismäki.
Était-ce une manière de vous éloigner d’un cinéma trop naturaliste ?

Oui, absolument. En temps que spectateur, j’aime le cinéma naturaliste, j’adore les frères Dardenne par exemple. Mon film est profondément honnête du point de vue des émotions, mais avec un emballage très stylisé. L’imaginer sans serait impossible pour moi : il deviendrait social et réaliste. Pourtant, un film réaliste demande aussi un emballage : on cherche des décors gris, des rues pas ensoleillées… C’est une esthétique qui se déguise en non-esthétique. Moi, je voulais faire un film beau à regarder, dire que la beauté n’est pas tabou, tout en restant profond.

Vous filmez la côté flamande comme s’il s’agissait de paysages extraordinaires…

Nous avons tourné dans le nord de la Belgique, qui est beaucoup moins belle en réalité. L’horizon est toujours pollué en Flandres, et j’aime les horizons vides. Nous avons longuement cherché les lieux. Finalement, nous avons filmé un peu partout, y compris dans les terres : le café, par exemple, a été ajouté en numérique. Et pourtant, les gens qui connaissent la côte flamande la reconnaissent telle qu’elle devrait être… C’est cette esthétique-là que je recherchais : des lieux qui ne ressemblent à aucuns autres mais qui rappellent tous les autres.

Peut-on dire que c’est un film avec des envies d’ailleurs ?

Oui. Et pas seulement pour Pim qui rêve d’une vie plus belle, plus heureuse, plus complète. Tous les personnages partagent ce sentiment, cette envie de combler un manque. Sabrina et Pim partagent le même parcours : ils sont amoureux de quelqu’un qui ne le leur rend pas. Les mères sont leur reflet : l’une cherche l’accomplissement au sein de la famille, l’autre tout à fait en dehors. Je ne voulais rien juger : la mère de Pim est-elle une mauvaise mère parce qu’elle quitte son fils ? L’actrice (Eva van der Gucht) ne trouvait pas : elle s’imaginait que Pim serait mieux sans elle.

Comment avez-vous travaillé avec les acteurs, notamment les plus jeunes ?

On a travaillé de manière très naturelle, avec des exercices, des improvisations, et beaucoup de répétitions avant, hors plateau. Ça a donné une honnêteté de jeu : ils savaient qu’ils pouvaient faire part de leur fragilité, de leurs doutes. Je n’ai jamais parlé de ma vie privée, je n’ai jamais posé de questions sur la leur : on s’est concentrés sur les personnages. Quand ils se sentent trop proches de ce qu’ils sont réellement, ils ont peur du regard des autres. Et puis, ils n’étaient pas tous professionnels – qui l’est à seize ans ? Nathan Naenen (Gino) était en école d’art, Ben van den Heuvel (Pim) était danseur au Ballet national en internat : une sorte d’entraînement militaire qui lui a donné beaucoup de maturité, de discipline.


Vous leur faites faire des choses matures, les scènes de sexe, notamment, ne sont pas édulcorées.

Non, c’est vrai. Même si on ne voit rien, on sait exactement de quoi il s’agit. Mais on avait bien préparé ça à l’avance, y compris avec les parents des comédiens, en leur montrant des storyboards. Ça a pris du temps et demandé beaucoup de répétitions. Les acteurs, au début, y allaient sans beaucoup d’enthousiasme. Mais un respect réciproque a fini par naître, entre deux garçons très différents : dans la vie, l’un jouait dans un groupe punk-rock, l’autre était danseur classique… À la fin, ils étaient très fiers de leur coopération.

Était-ce facile de réaliser ce fim-là au sein de la production flamande ?

[Le producteur Yves Verbraeken, présent dans la pièce, répond également]
Côté VAV [équivalent flamand du CNC, ndlr], qui a une vraie vision et une vraie curiosité, oui. Côte financement privé, c’était plus compliqué. On a vu des financiers nous dire : « Notre bière n’est pas bue par votre public… ». Nous avons eu 23 jours de tournage sans coproduction, avec la moitié du budget d’un film comme Bullhead, sans doute en raison du thème. Il y a eu des frilosités. Mais c’est finalement allé assez vite. Avec la crise, tout change de nouveau, mais le cinéma flamand est en assez grande forme. Huit films flamands sont produits par an pour 4 millions d’habitants. Les écoles forment désormais de vrais professionnels, le tax shelter [incitant fiscal, ndlr] aide beaucoup aussi. Et un nouveau fonds régional, Screen Flaunders, vient de se créer pour inciter à tourner en Flandres.

Pensez-vous à un deuxième long métrage ?

Avec Yves, nous préparons actuellement un film qui s’appellera Souvenir. C’est un projet de longue date, depuis avant Sur le chemin des dunes. Le scénario est fini depuis longtemps, le casting et le financement sont en cours. C’est l’histoire d’une femme qui a arrêté de chanter après qu’Abba lui a volé la vedette à l’Eurovision. Elle travaille désormais dans une usine de pâté, où elle tombe amoureuse d’un jeune intérimaire, un boxeur de 18 ans. Il disparaît une fois son contrat terminé : pour le retrouver, elle décide d’aller chanter dans son club de boxe… Souvenir, c’est le titre de la chanson. Le tournage devrait démarrer à la fin de l’été 2013.

 

Propos recueillis par Jean-Baptiste Viaud – Novembre 2012


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