Le film est également captivant dans sa description sordide de la condition féminine. Toutes les femmes de l’histoire sont dépendantes d’un «maître », qu’il soit époux, amant ou client, qui dispose d’elles à sa guise. Sans cela, il n’existe aucune carrière ou quelconque possibilité d’avenir, ce que l’on comprendra avec toutes les tentatives de fuites vouées à l’échec de Marya, la candeur et la vulnérabilité d’Isabelle Adjani accentuant l’analogie avec un enfant livré à lui-même. Le plus frappant est l’absence de rébellion de ces femmes face à ce destin, Lois acceptant et encourageant avec tristesse les écarts de son époux (magnifique Maggie Smith qui fait passer toutes les nuances en silence et avec un détachement de façade). Marya, qui conjugue l’infériorité de sa classe et de son sexe, va chuter encore plus bas, tombant finalement folle amoureuse de celui qui la tourmente tant. Isabelle Adjani développe finalement en parallèle de son rôle de Possession une autre expression de la folie, cette fois amenée par celle d’un monde qui ne lui laisse pas d’autre choix que cette soumission déguisée en amour passionnel. Elle semble toujours dominée, affaissée et assujettie par Alan Bates lors de leurs scènes d’amours, et lorsqu’elle daigne l’affronter on ressent plus une sorte de dépit résigné que de la vraie rébellion. James Ivory et la scénariste Ruth Prawer Jhabvala renforcent le côté passionné et torturé de ces rapports en comparaison du livre, HJ étant plutôt un Anglais réfléchi pour lequel ce type de relation est normal au vu de son statut, tandis que la prestation d’Alan Bates tutoie la démence par moments.
De même Marya est nettement moins jolie que son équivalent au cinéma, rendant naturelle cette soumission alors que le drame est plus fort dans le film puisque même la beauté d’Isabelle Adjani ne pourra la sauver. C’est un thème au cœur de l’œuvre de Jean Rhys, notamment de son livre le plus connu La Prisonnière des Sargasses (1966), sorte de prequel de Jane Eyre (Charlotte Brontë, 1847), où elle narrait le destin de la première épouse créole maudite de Rochester. James Ivory instaure une atmosphère lente, oppressante et mortifère, bien loin des pétaradantes visions hollywoodiennes des Années folles. La photographie de Pierre Lhomme ajoute un côté terne et blafard qui jure avec l’inspiration impressionniste des compositions de plan de James Ivory, les scènes musicales montrent des danseuses momifiées et fantomatiques et la bande-son réinvente de façon plus contemporaine les deux titres de jazz interprétés par Armelia McQueen comme pour mieux s’éloigner des sons plus tonitruants et joyeux de l’époque. Les femmes restent les grandes perdantes jusqu’au bout et si rupture il y a, ce sera toujours pour tomber dans les griffes d’un nouveau « protecteur », à l’image d’un final glaçant. Pas le Ivory-Merchant le plus facile d’accès, mais probablement l’un des plus captivants.