Pelo Malo

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Recherche identitaire et rapport à la mère dans un drame sobre sur la pré-adolescence.

Pelo Malo s’ouvre sur un plan large d’enfilades de balcons d’immeubles HLM construits à la fin des années 1960 à Caracas, qui sont aussi bien un espace tourné vers l’extérieur qu’une cage pour ses habitants. Les enfants y jouent au ballon, les adultes fument des clopes, les femmes au foyer rêvent d’ailleurs. En face, Junior, 9 ans, et sa petite voisine observent, et imaginent le quotidien des résidents comme autant d’histoires à se raconter. Le troisième long métrage de Mariana Rondon pourrait être l’une d’elles : chez Junior, ils sont trois, une mère seule, Marta, et ses deux enfants. Il n’y a pas grand-chose à faire durant les vacances, à part chercher un boulot de gardien de nuit à Marta, et se lisser les cheveux pour Junior, qui en a marre de ses “cheveux rebelles”, coupe afro qu’il a héritée d’un père qu’il n’a pas beaucoup connu, mort il y a des années. Pour la photo de classe de rentrée, c’est décidé, il aura la chevelure bien tirée et un déguisement de chanteur à succès. Sauf que les cheveux lisses, c’est pour les filles, et qu’il est hors de question pour Marta que son fils devienne “pédé”.

Quelque part entre Tomboy (Céline Sciamma, 2011) et Ma vie en rose (Alain Berliner, 1997) version sud-américaine, Pelo Malo interroge la construction identitaire d’un garçon qui, bien conscient du genre dans lequel il est né, ne voit pas pourquoi il ne pourrait pas se coiffer comme il veut, danser “parce qu’[il] en a envie” ou faire pipi assis. Que Junior soit vénézuélien joue évidemment pour beaucoup dans son développement : dans une société où la violence fait norme (les enfants parlent naturellement de viol entre eux) et gouvernée par l’idée de l’homme fort, il n’a d’autre choix que de grandir contre un système qui fait de la différence l’ennemi. Partant, Pelo Malo est le récit d’un refus d’une existence normative, d’un clash entre les choses à faire et les choses à ne pas faire. Si Marina Rondon ne dénonce rien directement (la politique chaveziste est soigneusement tenue à l’écart), elle donne à voir de manière quasi documentaire les luttes permanentes d’une famille matriarcale par défaut, où la question de la garde des enfants par exemple fait figure de combat journalier.

 

Pas de sensiblerie dans Pelo Malo, qui ose des scènes cruelles installées dans la durée dans un style très néo-réaliste : c’est bien ici de la quotidienneté que naît la narration. Marta est une femme dure, dont l’absence de perspectives professionnelles et amoureuses (mise à pied, elle essaye de récupérer son poste, même s’il faut pour cela coucher avec son boss libidineux) se traduit par une inflexibilité totale à l’endroit de ses enfants, de Junior surtout. Qu’il danse, elle se moque de lui (séquence renversante mais tout à fait malaimable) ; qu’il regarde un peu trop insistamment un ado du quartier (par admiration peut-être plus que par désir) et elle l’emmène consulter. Si la réalisatrice lui donne un rôle rude, ce n’est jamais pour la condamner – dire à son fils qu’elle ne l’aime pas pourrait bien valoir toutes les déclarations d’amour du monde. Pelo Malo se clôt sur un choix, fait par Junior. Un choix douloureux, mais un choix qui est le sien, et qui ne sera paradoxalement pas le plus compliqué.
 

Titre original : Pelo Malo

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Durée : 93 mn


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