Enfermement d’un père et sa fillette
Attention, ce film est une bombe. Il est difficile de le regarder comme on visionnerait un film d’aventures ou une saga familiale. Avec son talent de cadreuse après des études de philosophie et d’ethnologie, Angela Ottobah, dont c’est le premier long-métrage après la réalisation de cinq courts-métrages, nous propose ici non pas de s’attaquer frontalement à l’inceste, mais par des biais détournés. Ainsi, elle filme l’enfermement d’un jeune père avec sa petite fille en cadrant la plupart du temps ses personnages au niveau de la ceinture, sans vraiment de distance, et dans des lieux glauques comme une maison dans la forêt qui se déstructure peu à peu. On sent tout au long du film comme un malaise diffus s’installer même si rien n’est dit, ni montré, mais tout est distillé tout comme la mère qu’on ne voit qu’en webcam et la présence de seringues et de médicaments comme pour insister sur le côté malsain du père. Angela Ottobah a, du reste, choisi le jeune acteur, Finnegan Oldfield, dont elle magnifie le côté juvénile et la beauté intrigante justement parce que les pères incestueux ne sont pas toujours des hommes laids et adipeux, note la réalisatrice qui avoue dans le dossier de presse avoir été violée dans son enfance pendant cinq ans par son père biologique. « Comment s’en prend-t-on au corps de l’enfant si ce n’est pas sexuellement ? Il y a beaucoup de réponses, à partir desquelles j’ai construit mon scénario. Priver de nourriture, de sommeil. Isoler géographiquement. Faire tomber les cloisons – interdire la pudeur. C’est une mort à petit feu. Le chemin d’écriture a été long, il fallait retrouver ces lieux qui faisaient sens en miroir de l’inceste – raconter ce qui m’était arrivé mais presque métaphoriquement. »
Comment aborder le crime de l’inceste
De ce point de vue, le film est une réussite parce qu’il place le spectateur dans une situation vraiment gênante et cependant sans montrer de scènes explicites. Tout est dans le non-dit, mais aussi dans les symboles : le loueur de pédalos inquiétant filmé au ras de la braguette, la maison dans les bois que le père désosse, la myopie de la mère qui semble ne se rendre compte de rien et qui travaille en Corée, l’autodafé imposé par le père des objets utiles et inutiles de la maison, etc. Dérangeant, on peut le dire. Paula ne laissera personne indifférent et il est même à prévoir que des spectateurs quitteront la salle tant le scénario est pesant et suffoquant. D’autant que, de son propre aveu, la réalisatrice qui est aussi la scénariste du film, avoue avoir changé sa trajectoire en cours de réalisation pour parvenir à un film au plus près de ce qu’elle avait vécu elle-même. On ne guérit jamais vraiment de son enfance, d’autant plus lorsqu’on a été l’objet de viols répétés. « Je suis parvenue à un scénario dans lequel l’inceste n’est pas présent de façon absolument évidente : ceux pour qui il était familier le voyaient tout de suite, les autres pouvaient passer à côté. C’était un récit assez positif, où la petite fille devenait une figure héroïque, mais au moment du tournage j’ai eu besoin de revenir à quelque chose de plus dur, plus fidèle à mon histoire aussi. C’était comme si le réel m’avait rattrapée : j’avais beau avoir élaboré, construit des stratégies… J’ai rétabli l’inceste dans le hors-champ. Par exemple : le père n’a pas de lit, il dort dans un fauteuil. Elle a un grand lit… Il y a un plan sur un pédalo où elle a les jambes écartées. Il la regarde. J’ai fini par filmer une histoire beaucoup plus trouble et inquiétante que celle que j’avais écrite. »