Panique à Needle Park

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New York. Les années 70. La vie, la drogue, l’amour, la trahison, la haine, l’austérité, la crasse, la mort… Le film de Jerry Schatzberg embrasse ces différents horizons, les chutes, les excès. A l’instar de Macadam Cow-Boy de John Schlesinger, les New-Yorkais sont des cafards : ils vivent et se vautrent dans des piaules crasseuses, […]

New York. Les années 70. La vie, la drogue, l’amour, la trahison, la haine, l’austérité, la crasse, la mort… Le film de Jerry Schatzberg embrasse ces différents horizons, les chutes, les excès. A l’instar de Macadam Cow-Boy de John Schlesinger, les New-Yorkais sont des cafards : ils vivent et se vautrent dans des piaules crasseuses, errent dans une ville aux rues tentaculaires et labyrinthiques. Ils sont l’échec du rêve de contre-culture qui naquit au commencement des hostilités entre les Etats-Unis et le Viet Nam. Panique à Needle Park traduit le contre-coup culturel d’une utopie déjà avortée. Les personnages se désincarnent et se réincarnent dans un rêve impossible : se sortir des quartiers merdiques de New York, des sables mouvants engloutissant tout humain se débattant.

L’Amérique est à l’agonie. La Grosse Pomme est un zoo peuplé de camés, de prostituées qui se mêlent et s’affrontent de plain-pied enracinés dans un environnement nauséabond. Tout tend vers l’aliénation de l’individu. Le rêve de contre-culture trouve son plus beau symbole vicié : faire l’amour librement, sans contrainte, sans peur de mourir est sali par le non-respect du corps dans la prostitution. Helen, qui avorte au début du film, devient une chienne pour se piquer. Au même titre qu’Iris dans Taxi Driver, Helen représente une des dégénérescences du mouvement hippie et une incapacité des autorités américaines à enrailler la spirale négative qui détruit les Etats-Unis. La différence entre Helen et Iris est que l’adolescente tombe sur un « héros » raciste qui tente de conjurer ses cauchemars en se sacrifiant pour la sacro-sainte innocence juvénile de la jeune fille au nom d’un puritanisme aberrant vidé de sa substance.

Le microcosme, le récit clanique que propose Jerry Schatzberg est d’un pessimisme et d’une violence visuelle affolante. Les gros plans sur les seringues pénétrant l’intérieur des veines des junkies offrent au film une puissance visuelle basée sur le mode de la pénétration et de l’agression. La force saturée du style de Jerry Schatzberg parvient à rendre tangible et insupportable l’insertion de l’aiguille dans le bras. D’une manière ou d’une autre, les victimes cherchent à s’enfuir, à voyager vers un ailleurs quitte à parasiter leur corps, à l’abandonner. L’esprit se révèle destructeur pour un corps affaibli, anéanti. Le réalisateur filme sans complaisance. Les scènes sont réalisées avec un réalisme froid, quasi-documentaire. Le silence et l’absence de musique momifient le compte à rebours de leur propre destruction.

Les personnages provoquent leur propre fin sur les chemins de la mort. Ils s’interdisent des années de vie à cause de leur addiction à l’héroïne, à la cocaïne, pour une transe aussi fugitive que destructrice. Le désespoir de leurs conditions de vie les précipite vers l’enfer. L’enfer de leur vie renvoie à leur perdition : Bobby accepte qu’Helen se prostitue pour gagner de l’argent et s’acheter des doses ; lorsque les drogués subissent de plein fouet la panique, le manque de drogue à acheter, ils s’ingèrent dans le sang des produits coupés avec du cirage… Le viol d’une matière liquide et parasite dans leurs veines les fait cruellement survivre… La dépendance à un corps étranger pour tenir ou rêver… Une ouverture vers un ailleurs par le truchement d’une prostitution corporelle et fantasmatique à la fois glauque et pathétiquement burlesque comme lorsque Bobby, le lutin des rues, bouche grande ouverte, est inerte, et qu’Helen profite de son « absence » pour s’essayer à la cocaïne. Leurs cheminements personnels se résument à un acte : se camer.

Le film offre un seul moment de respiration : lorsque Bobby et Helen se rendent à la campagne. Un décor luxuriant comparé à leur environnement mais qui reste d’une simplicité et d’une banalité redoutable. A elle toute seule, cette partie de campagne faussement bucolique représente l’espérance d’une vie meilleure. Malheureusement, ce cadre de vie est un mirage dans un désert de pourris et de pourriture ancré dans un environnement urbain qui pousse l’homme vers son animalité primale.

Panique à Needle Park est une œuvre brutale qui se décline par de la violence, de la peur, par l’échec, la colère ou l’hystérie. Elle participe comme Taxi Driver, Macadam Cow Boy et d’autres films du début des seventies, à dépeindre l’extinction, le déclin d’une génération, d’une population dans un cadre sociologique naturel. Le film caresse l’authenticité d’une époque et de l’Histoire. Un film indispensable.

Titre original : The Panic in Needle Park

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Durée : 110 mn


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