Nos meilleures années raconte l’histoire d’une famille italienne, les Carati, du milieu des années 1960 aux années 2000. Si on retrouve dans le film tous les événements dramatiques ou joyeux propres à une famille (mariage, enterrement, repas de Noël, et cætera), Nos meilleures années parle surtout de deux frères : Matteo, le solitaire, et Nicola, l’humaniste. Au départ, ils ne sont pas très différents, tous deux étudiants en vacances scolaires, mais leur rencontre avec Georgia, une jeune fille troublée psychologiquement, va décider de leur vie : le premier, ayant besoin d’ordre et de discipline, deviendra policier, le second choisira la voie de la psychiatrie. À travers ces deux personnages, on fait connaissance avec la traditionnelle famille italienne : les parents, la grande et la petite sœur, mais aussi avec les copains d’enfance (Carlo et Vitale) et les premières amours (Giulia et Mirella). Ce sont tous ces personnages que Nos meilleures années va suivre pendant un voyage passionnant, de Rome à Turin, Bologne, Palerme ou encore Florence.
Car à travers la petite histoire de cette famille et des gens qui y gravitent autour, Nos meilleures années passe en revue quarante années de l’Histoire italienne. Chaque protagoniste devient ainsi acteur de l’Histoire collective. Tous étudiants, on retrouve ces personnages à Florence lors des inondations de 1966. Deux ans plus tard, Giulia et Nicola échapperont aux révoltes étudiantes, alors que Matteo fera partie de ceux qui réprimeront ces mouvements. Giulia ralliera ensuite un des nombreux groupuscules extrémistes qui pullulèrent pendant les « années de plomb ». Vitale, un des copains d’enfance, apprendra son renvoi de chez Fiat pendant la période de grands licenciements. La mutation de Matteo et de sa grande sœur plus tard (dans les années 1990) à Palerme donnera, jusqu’à l’assassinat du juge Falcone, l’occasion de dénoncer les pratiques de la mafia. Marco Tullio Giodana montre sans juger cette Histoire sociétale italienne pour mieux servir l’histoire qu’il a envie de raconter. Il va même jusqu’à mettre en scène les événements footballistiques italiens, notamment la victoire lors de la Coupe du monde de 1982 ! Certes, les spectateurs peu connaisseurs de l’Histoire moderne italienne ne pourront pas se reconnaître dans chaque événement, mais ils seront imprégnés par certaines ambiances qui elles sont internationales : le mouvement hippie, les révoltes estudiantines, les violences extrémistes… L’une des grandes forces de Marco Tullio Giordana est de mêler avec dextérité la petite et la grande Histoire, et au travers de ces quarante années de donner plus de profondeur, de relief aux vies de ses personnages
Ainsi, le rythme même du film est symétrique au vieillissement de ses personnages : la première partie est caractérisée par la générosité de la jeunesse, la fougue, la fuite en avant, tandis qu’ensuite vient le temps des premières désillusions de l’âge adulte, des générations qui passent, de ceux qui naissent, de ceux qui vieillissent et de ceux qui meurent. À la quatrième heure du film, un événement dramatique bouleverse la vie de tous les personnages et ouvre à la dernière partie du film. Celle-ci est plus tranquille, nostalgique, s’étire en longueur comme si elle incarnait une douleur qu’aucun des personnages ne pouvait dorénavant plus surmonter. De ce fait, la première partie du film est voulue plus factuelle, plus rythmée par le réalisateur, tandis que la seconde partie (et particulièrement après cette fameuse quatrième heure) est envisagée de manière plus intime, se recentrant sur la vie privée des personnages. Marco Tullio Giodana se laisse aller aux sentiments, à la sensibilité … sans toutefois jamais que l’intérêt du spectateur n’en souffre.
La vraie réussite de Nos meilleures années, au fur et à mesure que sa force dramatique s’en dégage, réside sans doute dans l’attachement qui se crée envers chacun des personnages. Le cinéaste a su créer une forte empathie entre les spectateurs et ses personnages. On ressent successivement les joies et les malheurs qui traversent ces vies-là, car les sentiments auxquels ils sont confrontés sont universels : la jeunesse perdue, l’insouciance, la passion, l’amour, la compassion, les espoirs, la déception, l’amitié, la douleur… Ici, pas de manichéisme, le réalisateur ne juge pas et surtout, ne tente pas d’expliquer, il s’en tient simplement à raconter une histoire humaine, parvenant par ces choix à atteindre cette sensibilité, cette tension dramaturgique captivante. Il est aidé notamment par la longueur de son film, qui lui permet d’installer confortablement ces protagonistes. Alors qu’une production de deux heures ne pourrait se contenter que d’esquisser des trajectoires de vie, Marco Tullio Giordana dispose du luxe de pouvoir construire des personnages denses. Ainsi, la psychologie de Matteo et Nicola paraît très poussée. Comme dit plus haut, si leurs caractères sont diamétralement opposés, on peut tout de même, en toute complexité, suivre leurs relations amoureuses, leurs parcours de vie. Enfin, tous ces personnages intelligemment dessinés, entre forces et faiblesses, sont portés par des prestations de comédiens très justes, qui s’accordent à merveille entre elles.
Certes, si quelques plans peuvent dans la deuxième époque paraître trop appuyés (certains couchers de soleil, des éruptions volcaniques, et cætera) et si le film reste étrangement muet quant à l’arrivée de Berlusconi au pouvoir et sur le virage néo-libéraliste pris par l’Italie contemporaine (le film est pour rappel produit par la Rai), ce sont bien les deux (seuls) défauts à reprocher à cette fresque familiale si réussie. Film épique ou saga romantico-historique, dans Nos meilleures années, on rit, on pleure, on s’attache, on vit au rythme de ces personnages acteurs en marche de l’Histoire italienne. Au bout de six heures de visionnage, on en serait presque triste de devoir déja quitter Matteo et Nicola !