My Little Princess

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Tiré de sa propre vie, le premier long métrage de l’actrice Eva Ionesco envoute autant qu’il déroute, laissant progressivement entendre une adresse courageuse à une figure maternelle encore un peu dévorante.

Le projet était bien sûr délicat, comme tous ceux qui se penchent sur l’intime. Risque pour Eva Ionesco, en élisant pour sujet de son premier film en tant que réalisatrice une expérience la touchant dans sa chair, ayant eu des répercussions sur sa propre vie, de ne parvenir à trouver la distance nécessaire à la mise en place puis l’épanouissement d’une vraie fiction. L’histoire est connue : l’actrice, dès l’âge de quatre ans, fut choisie par sa mère, la photographe Irina Ionesco, comme modèle de photos à caractère érotique. L’enfant vit alors son corps devenir l’instrument d’un modelage, soumis aux projections de cette mère dont le réel talent ne peut bien sûr éclipser la dimension discutable des entreprises. My Little Princess, œuvre de la petite fille devenue femme et surtout actrice – de son propre gré –, serait alors avant tout le film d’une défiance, voire une revanche, par le biais d’une réappropriation critique de ce lourd passé.

Si le film a une vraie force, c’est bien celle de ne pas feindre le trompe-l’œil, d’aborder de front la question de cette exploitation par Hanna (Isabelle Huppert, forcément idéale pour ce type d’emploi) de l’image de Violetta (troublante Anamaria Vartolomeï), sa fille de onze ans. Choisissant une enfant plus âgée qu’elle au moment des faits (Eva Ionesco n’avait que quatre ans lors de ses premières séances photos), la cinéaste n’amenuise pas pour autant la dimension ambiguë de cette relation où l’amour maternel se mesure essentiellement à la lumière de l’objectif. Violetta, qui au début du film nous est présentée comme une petite fille en manque de mère, élevée par sa mamie (touchante Georgetta Leahu), sera progressivement dévorée par la folie d’une femme ne la voyant plus que comme support de ses projections.


Une femme…
Plutôt que de présenter Violetta comme une simple victime, la marionnette en souffrance d’une figure maternelle peu scrupuleuse, le film optera avec intelligence pour le suivi d’une prise de conscience. Celle par la petite fille du prix de son intimité. Ne la filmant jamais nue (esquivant ainsi la transgression d’Irina), mais lui faisant néanmoins jouer des situations aussi délicates qu’embrasser un adulte, porter des tenues laissant apparaître ses formes naissantes, Eva Ionesco propose alors une approche aussi franche que distanciée de son sujet.

Privilégiant le voisinage d’une forme de réalisme des séquences présentant Violetta avec sa grand-mère ou parmi les autres filles de son âge, et du caractère plus scénographique, parfois onirique de celles en compagnie d’Hanna, Ionesco ne préserve pas toujours le film de l’inconstance, la trop brusque rupture de ton. Déséquilibre repérable notamment dans la toute dernière partie, faisant intervenir les services sociaux, confrontant la mère à une extériorité à son désir, privilégiant la révolte de la fillette… La cinéaste se révèle alors un peu moins à l’aise dans le déchirement, la représentation d’un antagonisme qu’elle n’envoutait durant la première heure par le brossage d’un milieu libre de morale, plein de son potentiel d’imaginaire. L’épisode anglais, où Hanna fait poser Violetta avec un homme d’une vingtaine d’années (l’adulte suscité) est en ce sens le plus décisif, celui où se mesure vraiment l’enjeu esthétique et dramaturgique de My Little Princess.


… en miroir
Jusqu’ici centré sur le rapport complice de la mère-photographe et sa fille-modèle, le récit prend une dimension nouvelle face à la question de l’excès, de la limite à ne pas franchir. Photographier une petite fille seule, en petite tenue… admettons. Lui faire simuler l’amour avec un adulte, logiquement, ne peut que tirer à conséquence. C’est à ce moment précis, lorsque Hanna demande à Violetta de se mettre nue pour une photo avec l’Anglais que le film, par le biais de la résistance puis du refus obstiné d’une fillette se voulant enfin propriétaire de son corps/image, rompt avec son principe initial de suivi faussement neutre d’une association. La séquence est d’autant plus forte que l’on ne la voit pas forcément venir, tellement Hanna semblait jusqu’ici tenir les rênes, être parvenue à faire de Violetta un « mini-moi », une petite starlette assumant pleinement le jeu d’une glamourisation à la Dietrich.

Cette force de résistance et d’affirmation par un individu de son droit à l’intimité, à la préservation de ce qui lui reste d’enfance aboutit à une deuxième partie hélas uniquement centrée sur le rapport de force des deux personnages, privant le film d’une ambivalence jusqu’ici bénéfique. Violetta devient soudain une porte-parole trop manifeste d’Eva, là où Hanna, privée de son potentiel de manipulation d’un modèle plus tellement dupe, apparait comme une Irina à son tour soumise à la loi d’un regard qui la dépasse. Difficile de se positionner devant ces dernières séquences, tant y persiste l’impression, cette fois, d’être au centre de l’adresse de la fille à sa mère, donc un au-delà de la fiction. Les masques tombent et même un personnage tel que Ernst (Denis Lavant), jusqu’ici plutôt complice avec Hanna, se fait subitement porteur d’une lucidité dont elle seule restera privée. Cette réversibilité des enjeux, la problématique qui l’accompagne au niveau de la conclusion même du film, en même temps qu’elles soumettent l’entièreté de My Little Princess au risque d’un léger scepticisme, sont pourtant aussi ce qui justifie le mieux son existence : ce film est prioritairement la photographie d’une étape dans la vie de son auteur… et sa relation avec une figure de mère sans doute encore dévorante.

Titre original : My Little Princess

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Durée : 105 mn


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