Michelangelo Antonioni

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A l’aune de la récente rétrospective Michelangelo Antonioni à la cinémathèque française, il nous a été permis de revoir la quasi intégralité de l’œuvre filmique du cinéaste de l’aliénation et de la névrose qui s’affranchit du néo-réalisme avant ses oeuvres de la maturité. Panorama et recension critique d’Alain-Michel Jourdat.

Peu connu du grand public, un corpus de court-métrages fait notamment la part belle à la veine documentaire imprégnant la filmographie fictionnelle de ce natif de Ferrare dans la vallée du Pô. Ferrare, ses rues larges et ses perspectives géométriques, reproduisent par un effet de miroir les peintures métaphysiques de De Chirico, autre natif de Ferrare dans le panthéon pictural d’Antonioni, éternel inventeur de formes.

Antonioni, “anthropologue des formes urbaines”

Ferrare est ce point d’ancrage nourri de réminiscences où le cinéaste des états d’âme et du malaise des sentiments aime à se ressourcer en un retour récurrent à ses origines. Son premier court-métrage et dernier long métrage, Gente del Po et Par-delà les nuages bouclent la boucle autour de cette bourgade fluviale, ses canaux et ses pontons.

Anthropologue des formes urbaines, Antonioni porte sa ville natale en lui. La comédie humaine qu’il donne à voir est celle d’une bourgeoisie rurale ou urbaine engluée dans ses contradictions telle qu’elle existe à Ferrare.

Antoniennui et sentiment cénesthésique…

Quand on évoque Antonioni, on ne peut s’empêcher de penser à Alberto Moravia et cet ennui atavique qui est un travail en devenir, un “work in progress” et le fil rouge innervant une œuvre singulière où il finit par atteindre à
l’épure et à l’abstraction.

La formulation du critique américain Andrew Sarris : Antoniennnui résume à soi seul cette prédestination à la morosité qui hante les fictions démoralisantes du maître. Le troisième œil d’Antonioni, sa caméra esthétisante, enregistre ce qui se passe quand il ne se passe rien jusqu’à l’épuisement des choses et dans un pur formalisme.

Avant les œuvres de la maturité où il montre des villes soit bruissantes soit vides qui laissent en nous une sensation cénesthésique, cette impression de malaise, de mal être croissant, Antonioni se fait tour à tour poète lyrique, sociologue et anthropologue….

C’est cette facette que la présente recension explore ainsi que l’apport documentaire inappréciable…

Chronologiquement : Les Vaincus, La dame sans camélias, Femmes entre elles, Le Cri, La Nuit, Chung Kuo, la Chine et le mystère d’Oberwald)

Lire aussi les analyses complètes de L’Avventura, Le désert rouge et Chronique d’un amour, premier volet du diptyque Lucia Bose.


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