Femmes entre elles

Article écrit par

Choralité féminine.

On ne se tue pas par amour…on se tue parce que n’importe quel amour nous révèle alors notre nudité. » (Cesare Pavese)

Librement adapté du roman de Cesare Pavese, Femmes entre elles est un film choral qui se présente d’abord comme une glaçante radiographie de la bourgeoisie turinoise. Sous le microscope introspectif qui lui tient lieu de caméra, Antonioni passe au crible les acrimonies des relations amoureuses homme-femme. Le monde du luxe et de la mode est le prétexte pour étaler et faire passer toutes les insatisfactions dans un cercle non vertueux d’amitiés surfaites et artificielles.

 

Collision des couples

Rosetta, une jeune femme sentimentale, attente à ses jours en avalant des barbituriques mais échoue. Son acte inexplicable est le catalyseur mélodramatique du film. Le suicide est un fait de société récurrent chez Antonioni. Du reste, Cesare Pavese se suicide à l’âge de 42 ans. Cherchant à cerner son mobile, ses amies confrontent leur propre insatisfaction. Dès les prémisses de son cinéma, la psychologie chez Antonioni émerge du paysage plutôt que d’une perspective individuelle. Son film fait écho au court métrage poignant Suicide manqué qu’il réalise en 1953 et qui fait partie intégrante du film à sketches L’amour à la ville dans lequel il interviewe des femmes fragilisées par une existence
précaire qui attentent à leurs jours et sont parfois prêtes à récidiver.

A l’occasion de l’inauguration d’une succursale de mode à Turin, le spectateur est sommairement introduit dans un cercle huppé de connaissances. Clelia (Eleonora Rossi Drago), une jeune carriériste évolue dans ce microcosme où elle côtoie la mondaine qui fraye avec la haute société (Yvonne Furmeaux), la céramiste angoissée (Valentina Cortese), l’élégante flirteuse (Anna Maria Pancari) et les mâles qu’elles satellisent autour d’elles. L’infidélité est le passe-temps favori de cette coterie oisive. Ainsi du peintre velléitaire Lorenzo (Gabriel Ferzetti) qui prélude son rôle d’architecte
mollasson dans L’Avventura. Le chassé-croisé des affaires amoureuses avortées est le signe avant-coureur du malaise des sentiments qui régule les relations hommes-femmes dans l’univers antonionien.

Antonioni filme dans la profondeur de champ une strate sociale qui gravite autour de ce petit monde superficiel du textile. Ce faisant, il crée conventionnellement un sous-genre avant de pousser à la finesse abstractive de ses films des années 60 en épurant les formes de son art. Les lieux de fréquentation sont prétextes à cerner cette faune verbeuse qui étale ses discordes et expose ses secrets embarrassants au grand jour. Une sortie à la plage balayée par le vent incite à un jeu cruel de vérité face à un océan inhospitalier. Le film est transitionnel avec ses ramifications de soap opéra, sa narrativité serpentine et son enchevêtrement de complications sentimentales.

La palette cinématique et la caméra mobile d’Antonioni extrait toute la vanité de la routine quotidienne de ce monde de la mode en plein essor. La femme moderne est davantage le symptôme de l’autonomie par le progrès que de la rétrogradation conclut implicitement Antonioni.

Ce film fait partie intégrante du cycle rétrospectif que le distributeur Carlotta consacre à huit redécouvertes majeures du cinéma italien à son acmé. Actuellement à l’affiche en salles…

Titre original : Le Amiche

Réalisateur :

Acteurs : , ,

Année :

Genre :

Pays :


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

Le pavillon d’or

Le pavillon d’or

En incendiant la pagode dorée de Kyoto, relique architecturale, un jeune bonze expérimente une catharsis intérieure et la purgation des traumatismes qu’il a vécus jusqu’alors. Adaptant librement le roman de Yukio Mishima dans un scope noir et blanc éclairant le côté sombre du personnage, Kon Ichikawa suit l’itinéraire d’apprentissage torturant qui a conduit son antihéros à commettre l’irréparable.

La classe ouvrière va au paradis

La classe ouvrière va au paradis

Avec « La classe ouvrière va au paradis », Elio Petri livre un pamphlet kafkaïen sur l’effondrement des utopies du changement au sein de la mouvance ouvrière. Le panorama est sombre à une époque où l’on pouvait encore croire dans la possibilité d’un compromis politique et idéologique entre le prolétariat et les étudiants extrémistes militants en tant que ferment révolutionnaire. A l’aube des années 70, le cinéaste force à dessein le trait d’une aliénation au travail confrontée aux normes de productivité. Analyse…