Chung Kuo est le nom ancestral de la Chine qui se traduit par “empire du milieu ».
“La navigation dépend du timonier, la révolution du président”
La formule propagandiste à l’emporte-pièce prend tout son sens lorsque Mao Zedong endosse cette distinction honorifique de “grand timonier”; le timonier étant le guide à la barre qui maintient le cap.
Au cœur de la révolution culturelle et grâce à son aura de cinéaste de renom, Antonioni est mandaté par le gouvernement communiste de Mao Zedong afin de réaliser un documentaire ethnographique sur le pays en pleine refondation. Le cinéaste s’adjoint pour ce faire les services d’une équipe de tournage légère. Il enregistre et rapporte un flux conséquent d’images didactiques sur le quotidien des populations urbaines et rurales à Pékin, Nankin et Shanghai qu’il filme in media res dans un fourmillement.
Propagande naïve et exaltation des valeurs culturelles chinoises
Partant, le cinéaste restitue l’âme d’un pays fermé au reste du monde des siècles durant. Cependant que l’enthousiasme admiratif du départ du parti communiste chinois à son égard se change en antagonisme. Ce dernier escomptait en retour un regard doctrinaire et une exaltation des valeurs culturelles chinoises. Insatisfait, le président Mao interdira sa diffusion pour anti-communisme et le mettra sous le boisseau. Il finira par être exhumé 40 ans plus tard.
Même s’il se veut neutre et impartial, le filmage en continu de ces populations laisse transparaître la répression du régime maoiste à travers l’endoctrinement et la propagande naïve infusée dans les chants révolutionnaires qu’entonnent de façon martiale des écoliers ou encore ces démonstrations d’arts martiaux sur la place Tiananmen qui deviendra le fer de lance de la contre-révolution suite aux événements tragiques de 1989 et les exercices gymniques de qigong à Pékin. Pêle-mêle, Antonioni filme une journée de travail dans une usine de filature où le message révolutionnaire est à nouveau scandé et martelé par les ouvrières diligentes : “Nous devons filer et tisser pour la révolution.” Ailleurs, Antonioni filme une “commune populaire rurale”.
Le morceau de bravoure de ces vignettes impartiales est sans conteste une improbable césarienne en direct sous acupuncture utilisée pour seule anesthésie. Où de longues aiguilles sont enfilées méthodiquement dans le ventre d’une femme chinoise afin d’insensibiliser son utérus et ses nerfs tandis qu’elle s’abreuve et mange dans le même temps sans se décontenancer le moins du monde de ce qu’on lui fait subir. Sans transition, Antonioni et son équipe arpente la grande muraille de Chine longue de 5000 kilomètres. Seul monument visible depuis la lune.
Outre le culte de la personnalité prêtée au grand timonier, celui à Bouddha est tout aussi prégnant.
L’âme farouche d’un pays fermé au reste de l’humanité
Au terme d’un long périple de deux mois en terra incognita chinoise, le documentaire non-interventionniste capture une période de transition inédite de l’Histoire de la Chine humanisant ce peuple farouche aux yeux du monde. Le chinois regarde, éberlué, l’occidental qu’il ne connaît pas face caméra dénonçant l’appareillage qui le filme appliquant à la lettre la théorie d’André Bazin sur l’objectivité essentielle
de l’enregistrement photographique.