Mes séances de lutte

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L´amour à bras-le-corps.

Ils n’ont pas de prénom, sont seulement « Elle » (Sara Forestier) et « Lui » (James Thierrée). Elle vient de perdre son père, il habite la maison d’à côté. Une histoire entre eux aurait pu se faire il y a quelques temps. Elle vient le retrouver, pour lui demander pourquoi le sexe aussi bien que le cœur ont été avortés. Ensemble, ils rejouent la phase d’approche, les séductions comme les dérobades. Ils luttent, avec les mots et avec leurs corps, se violentent, s’entrechoquent. Les combats sont quotidiens et deviennent leur nécessité, leur moyen de communication, sans qu’ils sachent vraiment quoi en faire ni ce qu’ils pourraient bien en tirer. Le nouveau film de Jacques Doillon marche à l’instinct et à l’énergie, mû par une tension inépuisable qui le fait avancer par chocs et par à-coups, dans un un mélange un peu improbable entre longues logorrhées verbales et corps-à-corps qui semblent ne jamais devoir finir. Il faut du temps pour y entrer, tant ces luttes déroutent d’abord, mises en scène presque sans préambule, dans de longs plans séquences pour la plupart qui semblent agir selon une logique d’éruption : les scènes jaillissent d’étincelles qu’on ne voit pas forcément.

Comme point de départ, un tableau à caractère érotique de Cézanne, La Lutte d’amour (1880), dont Doillon avait épinglé une reproduction au-dessus de son bureau. On y voit quatre couples, nus, qui bataillent en plein air. Une image pour point de départ donc, sur laquelle Doillon tisse, brode, dans une sucession de séquences qu’on pourraient prendre pour des essais, tant les mots fusent et s’entremêlent aux corps, les mouvements répondant à la parole autant qu’ils la complètent. « Ça doit avoir un sens qui m’échappe… », confie le cinéaste en dossier de presse. « J’ai pas de plan : une scène arrive, elle s’écrit. Et puis ça peut en rester là ou ça pousse une deuxième scène. » Son terme est juste, Mes séances de lutte est un film dont les images jouent à pousse-pousse, grâce à une mise en scène éreintée qui se nourrit de ce qui vient avant en pensant rarement à ce qui viendra après. Le nouveau Doillon s’affranchit de toute tentative d’explication, demande à ce qu’on plonge tête baissée dans les corps-à-corps des deux personnages, sans cesse rejoués et prolongés. Aucune contrainte extérieure ne pèse sur eux, tout se joue entre elle et lui, dans un décor quasi unique (la maison et la nature attenante).

 

 

Il y a bien la figure d’un père fantômatique, le sien à elle, qui a peu aimé sa fille, et qui pourrait expliquer le besoin qu’elle a de se jeter à corps perdu dans des combats perdus d’avance : elle est plus petite, plus frêle, lui pourrait la renverser en une pichenette. Si le terme de « séances » renvoie bien à une certaine idée de la psychanalyse, Mes séances de lutte est très animal, éminement physique, et ne s’embarasse que peu de la psychologie de ses personnages. Il s’agit bien de « gagner » les rounds, et la tendresse s’infiltre là où l’un laisse à l’autre le loisir de prendre le dessus quand il a remporté la bataille précédente. C’est en fait un ballet en plusieurs actes que filme Doillon, dont le cinéma n’a jamais été aussi chorégraphié. La parole qui caractérise son œuvre, ici carrément anti-naturaliste, s’engage comme socle des luttes en cours ou à venir qui, au fur et à mesure que le film se déploie, s’organisent en mouvement dansé. Les corps agissent, s’épousent, bleuissent avec une entière volonté d’en découdre, désireux de connaître la suite sans rien savoir de l’issue. Sur la fin, les coups se font plus hésitants, laissant peut-être surgir un caractère amoureux enfoui mais bien là, qui ne demande qu’à fleurir sur les temps morts des luttes. Elle et lui sont en scène, connaissent leurs rôles par cœur, maintes et maintes fois répétés : une nouvelle partition peut s’écrire et éclore en dehors des mots, désormais épuisés. 

Titre original : Mes séances de lutte

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Durée : 109 mn


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