Mademoiselle Julie (Alf Sjöberg, 1951)

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Ressortie en salles de l´adaptation suédoise de la pièce d´August Strinberg sous influence américaine.

Profitant de l’arrivée d’une nouvelle version de la pièce d’August Strindberg – la désolante Mademoiselle Julie livrée par Liv Ullmann , la Mademoiselle Julie (1951) d’Alf Sjöberg ressort sur les écrans. Plus prude que la version 2014, celle qui reçut le Grand Prix du Festival de Cannes en 1951 en est peut-être pourtant plus juste de par un travail d’adaptation à la fois plus fin et plus franc.

Lors des fêtes de la Saint-Jean, la fille d’un comte suédois badine avec son valet pour qu’il l’emmène danser au mépris du regard et des considérations de ses gens, sous l’œil falot de Kristine, la fiancée du valet, cuisinière du comte. À l’inverse de Liv Ullmann, Alf Sjöberg donne corps aux fêtes de la Saint-Jean, toile de fond de la pièce originale dans laquelle les danseurs pénètrent sporadiquement la scène. La foule du solstice est filmée longuement dans la scène d’ouverture et résonne sensiblement le long du film insistant sur le fait que le drame intime qui se joue est tout sauf isolé et peut à tout moment être révélé au grand jour. Sjöberg en livre une version assez classique : une Kristine assez peu présente, un Jean qui se révèle froidement manipulateur. Prise au piège de son rang, la Julie d’Anita Björk tombe dans les filets d’un homme comme si l’unique solution pour se libérer de son statut social était le transfert d’une autorité vers une autre. Elle est peut-être un peu plus lisse que la Julie imaginée par Strindberg, mais le film avançant, le parti pris adopté par Sjöberg s’avère plus fin qu’il n’y paraît.

Ce Mademoiselle Julie marque par sa volonté de se confronter au cinéma. Pourtant venu des planches – il avait d’ailleurs déjà mis en scène la pièce au théâtre royal de Stockholm en 1949 -, Sjöberg retravaille le drame avec les moyens du cinéma. Les récits de souvenirs d’enfance de Julie et Jean sont traités dans le film non plus seulement par la parole, mais sous forme de flashes back. Si le réalisateur en abuse un peu, ils lui permettent aisément d’éviter l’écueil de l’aspect théâtre filmé que peut revêtir ce type d’adaptation. Surtout, ces allers-retours nombreux entre présent et passé, réel et ressouvenir marquent Julie comme une femme qui vit dans l’imaginaire, dans son propre récit. Ce n’est peut-être pas un hasard tant le film semble être sous l’égide de Joseph L. Mankiewicz. L’ombre des premiers films du réalisateur américain, de Le Château du dragon (1946) à Chaînes conjugales (1949), plane fermement tant dans la mise en scène (les cadrages sur la foule, l’isolement à l’intérieur du château) que sur le personnage même de Julie.

 

Si le caractère ouvertement subversif de la pièce – écrite en 1888 et montée l’année suivante à Copenhague, censurée dans une bonne partie de l’Europe, il faut attendre 1906 pour qu’elle soit donnée en Suède – est ici minimisé au profit de raccourcis ou métaphores parfois poussifs, Sjöberg conserve finalement une vision, certes plus simple, mais assez proche de celle de Strindberg. Sans grandes circonvolutions et avec clarté, il parvient à dévoiler enjeux et faiblesses de ses protagonistes là où l’adaptation verbeuse de Liv Ullmann ne fait que les rendre confus et inconséquents. Si le Grand Prix, ancêtre de la Palme d’or, que le film partage à Cannes en 1951 avec Miracle à Milan de Vittorio de Sica était sans doute exagéré (1), le film d’Alf Sjöberg est l’une des (nombreuses) versions cinématographiques les plus fidèles du drame suédois.

(1) À ce même palmarès, on note aussi un Prix spécial du jury et le Prix d’interprétation féminine pour Eve de Mankiewicz, le Prix de la mise en scène pour Los Olvidados de Buñuel et un Prix exceptionnel à Les Contes d’Hoffmann de Powell et Pressburger.

À lire : la critique de Mademoiselle Julie de Liv Ullmann. 

Titre original : Fröken Julie

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Durée : 91 mn


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