Sur les conseils de sa productrice Caroline Roussel, elle s’est emparée de Lulu femme nue, de l’excellent dessinateur Étienne Davodeau. Une bande dessinée qui met en valeur une femme qui prend le large, après un entretien d’embauche raté, et qui fait le point sur sa vie au fil d’aventures et de rencontres. Femme ici incarnée par la très douée Karin Viard, à qui Sólveig Anspach avait confié son propre rôle dans son film autobiographique Haut les cœurs ! (1999), prestation qui lui avait valu le César de la meilleure actrice. Si Karin Viard semble à l’opposé de ce personnage féminin peu sûr de lui, démoralisé et fatigué lorsqu’on le découvre, le choix se révèle finalement judicieux, puisque Lulu reprend progressivement goût à la vie, avec humour, générosité et un grain de folie.
À force de vouloir satisfaire tous ses proches, Lulu s’est perdue, comme d’autres avant elle. Aimable, aimante, elle n’arrive pourtant pas à savoir qui elle est vraiment. Lulu femme nue adopte l’adage « partir pour mieux revenir ». Et même si ce n’est pas loin, ce n’est pas la distance qui compte, le voyage initiatique fonctionne. Il faut aussi « se perdre pour mieux se retrouver ». C’est souvent en se confrontant à un autre environnement qu’on est capable de savoir qui l’on est vraiment, délesté de tout ce qui est censé nous définir dans notre quotidien. Progressivement, sur le bord de mer, Lulu reprend des couleurs. Comme si elle avait quinze ans, elle redécouvre les joies d’un amour simple aux côtés de Charles (très bon Bouli Lanners dans un rôle à contre-emploi). Elle prend son temps, elle contemple aussi : les gens, les vagues, la fête foraine, dans des plans qui prennent plaisir à s’attarder sur ces paysages banals mais entourés d’une drôle de magie pour Lulu.
Pour Lulu femme nue, Sólveig Anspach ne s’est pas contenté d’une simple adaptation. Pour les besoins du passage sur le grand écran, elle a pris ses libertés par rapport à l’histoire originale de Davodeau, aperçu le temps d’un caméo dans un café. Ses choix scénaristiques sont judicieux dans l’ensemble. Alors que dans la bande dessinée, l’aventure de Lulu est racontée par certains de ses proches qui l’ont côtoyée dans son exil, Sólveig Anspach a décidé de n’adopter que le point de vue de Lulu. Certaines scènes sont aussi plus détaillées, plus fournies, plus denses, sans pour autant aller dans une direction artistique et une recherche esthétique particulières.
Si globalement la réalisatrice a réussi à retranscrire l’esprit de la bande dessinée tout en y insufflant du sien, son entrain et son optimisme sont cependant légèrement trop voyants, bien que de bonne volonté. Alors que Davodeau évitait certains clichés, dont celui du final, Sólveig Anspach ne peut s’empêcher de livrer au spectateur son happy end. Dommage aussi que la réalisatrice tombe un peu dans la caricature de l’ « imbécile heureux », en forçant les traits de ces gens simples, en particulier les frères de Charles qui passent pour deux guignols, bien entendu au cœur tendre – une des amertumes éprouvées à la fin d’un film qui apporte néanmoins une bouffée d’air frais parmi tant de productions névrosées et blasées.