Low Notes

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Entre fantasmes et illusions perdues, Laurier Fourniau filme l’errance d’un adolescent ténébreux perdu dans la vénéneuse Los Angeles. Premier film beau et fragile.

Adulescent fraîchement installé à Los Angeles pour y suivre des études à l’UCLA, Léon dissimule derrière sa nonchalance factice un mal-être sous-jacent. Dans sa chambre de post-ado plantée à quelques embardées du Mont Lee et de son célèbre panneau Hollywood, il rumine un passé qui ne passe pas – dominé par Eva, son amour manqué. Fidèle à son caractère fantasmatique, la Cité des Anges semble pourtant cette fois lui réserver un destin idéal. Une trajectoire a priori prometteuse que ne démentent pas ses péripéties nocturnes avec Alexis, baratineur idéaliste, ou Hermann, teenager quarantenaire considérant L.A. comme un terrain de jeu aux possibilités infinies. Pour autant, l’enseigne Hollywood – Léon l’indique plus tard en aparté au spectateur – s’apparente plutôt à une grosse paire de seins californiens : on paie pour le voir, on fantasme à son propos partout dans le monde, mais au moment de dégrafer, apparaît la rouille lézardant son armature métallique. À l’instar de Billy Wilder avec Boulevard du crépuscule (1950), David Lynch avec Mulholland Drive (2001), Brian de Palma avec Le Dahlia Noir (2006), ou Nicholas Winding Refn avec Drive (2011) et The Neon Demon (2016), le réalisateur Laurier Fourniau trouve en Los Angeles le territoire absolu pour allégoriser la dégénérescence. Pure création de l’esprit, ce soleil noir aux frontières du rêve et du cauchemar, là où les espérances se heurtent aux simulacres, va ainsi contaminer Léon et le transformer.

 

The Lost Boy

À mesure que le protagoniste choisit de n’interagir avec les autres qu’en fonction de techniques pseudo-scientifiques de développement personnel, le monde réel ne représente plus pour lui qu’un vaste réseau d’algorithmes. Comme s’il prenait au pied de la lettre l’une des plaisanteries d’Alexis en appréhendant les habitants de Los Angeles en tant que personnages dotés d’une intelligence artificielle tout droit sortis du jeu vidéo GTA. Cette forme de déshumanisation n’est toutefois qu’un rempart pour Léon, qui fuit ses affects pour mieux tromper ses tourments refoulés. À l’image de son blouson de cuir noir un temps trop lourd à porter, s’articule peu à peu en lui en trompe-l’œil une nouvelle identité. C’est à ce petit jeu qu’il perd malgré lui ses repères moraux et incarne une sorte de prédateur sexuel maudit attiré par tout ce qui brille. Manière aussi à travers ce nihilisme latent de pointer la vacuité de ce nouvel espace social. Avec une précision chirurgicale dans l’écriture et une justesse déjouant parfois la fiction, Laurier Fourniau flirte tantôt avec le drame de l’adolescence, tantôt bien sûr avec le film noir, genre décidément indissociable de Los Angeles. Quoi de mieux il est vrai qu’un tel paysage mental pour figurer la fatalité ?

 

 

To Live and Die in L.A

Entre la lumière écrasante du soleil californien, presque atonale, les appartements lugubres et le néant de la nuit, sourd un pessimisme comparable à celui distillé par Bret Easton Ellis dans Moins que Zéro (1985). À moins que la malédiction ici à l’œuvre soit plus à identifier du côté du film Génération Perdue (Joel Schumacher, 1987), œuvre dont le poster affiché dans la chambre de Léon apparaît dans le cadre de façon récurrente. Qu’importe : par-delà sa galerie de personnages bigarrés – à commencer par Alexis et Hermann -, ce qui trouble le plus dans Low Notes et son portrait des atermoiements de l’adolescence, c’est ce regard plein d’acuité porté sur Léon. Toujours plus resserrés sur lui pour montrer sa douleur viscérale ou a contrario éloignés pour souligner son isolement, les plans coïncident avec la musicalité très prononcée (jusqu’au titre) du film. En cela, le cheminement du héros et son affliction nervalienne – ce dernier cite d’ailleurs le poète – rejoignent dans une certaine mesure la mélancolie du Harvey Keitel de Mélodie pour un tueur (1978), dont l’acteur Dash Boam reproduit la colère sourde émaillée de douceur. Quoi qu’il en soit, Low Notes ne saurait sans doute être totalement apprécié en passant à côté de sa dynamique de mise en abyme du cinéma hollywoodien, ou de sa perspective un tantinet autobiographique – Laurier Fourniau a lui aussi étudié à l’UCLA, fréquenté jadis un certain Francis Coppola. Pour son premier long métrage réalisé en indépendant, le jeune cinéaste fait donc preuve d’une maîtrise et d’une rigueur assez saisissantes. Reste un final peut-être un peu chancelant, mais la fragilité n’est-elle pas précisément l’horizon recherché via ces expérimentations – inserts de personnages présentés comme des visions mentales, etc. – ? Gageons que Laurier Fourniau garde à l’avenir intact sa singularité et sa sensibilité.

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Durée : 85 mn


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