Alors qu’on sait les tournages de Maurice Pialat tendus – voir Pialat, 17e jour de tournage du film Police (1985) (2) – il est intéressant de voir le cinéaste faire immédiatement référence à l’humour que Depardieu insuffle sur le tournage, et, de facto, au film. À écouter le cinéaste, la limite entre tournage et film semble d’ailleurs très floue, et si l’on rit sur le tournage, on rira devant le film. Et il est vrai que le rire a une place majeure dans Loulou. Dès la première scène, Nelly rit au nez de son mari, tournant ainsi en dérision sa crise de jalousie, ridiculisant la gifle qu’il vient de lui asséner. Alors que le rire aura un rôle central dans la relation entre Nelly et Loulou, la scène de l’hôpital relevant même du sketch comique, André en sera toujours exclu. Guy Marchand, lui aussi très juste dans le rôle du mari trompé, a perdu d’avance puisqu’il est du côté du discours, de la parole : chacune de ses initiatives tombera à plat. Par petites touches, Maurice Pialat capte à merveille le ressenti d’un homme destiné à être de trop, et le malaise qui en découle chez lui, autant que chez le spectateur – ce que l’on retrouvera également dans Le Garçu (1995) à travers la maladresse touchante du père dépassé.
Au final, cette narration décousue, construite autour de la mise en dialogue de scènes sporadiques, qu’elle résulte de choix cinématographiques ou de contraintes techniques (on sait que Depardieu et Huppert ont quitté prématurément le tournage), sert merveilleusement le film ; c
elle-ci lui apporte une telle légèreté que la noirceur grandissante du propos s’en trouve adoucie. En effet, au-delà des rires se profile très vite l’incapacité croissante du couple à se comprendre, tout comme la persistance d’un gouffre social les séparant, qu’incarne l’inertie de Loulou sur le plan professionnel et que renforce l’arrivée d’une grossesse inattendue. Pourtant en bout de route, si l’on quitte Loulou et Nelly toujours aussi perdus, chancelant dans la noirceur d’une ruelle, on se trouve même en droit, au regard du ton du film et face à cette belle fin ouverte, d’espérer pour eux des lendemains qui chantent.
(1) Ciné regards, Depardieu et Pialat lors du tournage de Loulou, reportage de André Maurice, diffusé sur France Régions 3, 29 avril 1979, 1 minute.
(2) Cinéma cinémas, Pialat, 17e jour de tournage du film Police, reportage de Anne Andreu et Claude Ventura, diffusé sur Antenne 2, 05 décembre 1984, 12 minutes.