Border Line

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Un accueil infernal

Diego, urbaniste, et Elena, danseuse contemporaine, quittent l’Espagne pour mener une nouvelle vie aux États-Unis. Arrivés au contrôle douanier de Newark, l’aéroport de New York, ils sont emmenés dans un bureau où des agents agents de la police des frontières vont les soumettre à un interrogatoire déshumanisant.

Le duo Alejandro Rojas et Juan Sebastián Vásquez, originaires du Venezuela, a écrit le scénario à partir de témoignages d’amis et de leurs propres expériences. Ils ont conçu un huis clos troublant qui déstabilisera profondément le spectateur au point de lui faire temporairement refuser tout futur voyage potentiel au « Pays de la Liberté ». Petit joyau du cinéma politique, le film nous présente une situation susceptible de se produire au quotidien.

Le passage de Diego et Elena à l’inspection est loin d’être facile. Ils n’ont peut-être affronté que quelques heures d’interrogatoire mais ces moments intenses laisseront sans doute des traces indélébiles dans leur relation. Le spectateur est placé dans la position inconfortable d’être témoin d’actes injustifiables, n’ayant d’autre choix que de rester silencieux et d’observer le déroulement des événements. Au fur et à mesure de l’interrogatoire, des éléments du passé de Diego refont surface. Il s’avère qu’il n’a pas été aussi honnête qu’Elena le pensait. Mais qu’est-ce qui donne à la police des frontières le pouvoir de fouiller dans leur vie et de tourmenter leur relation ? Même si Elena s’affirme au début, elle perd rapidement tout sentiment de contrôle sous l’étroite autorité non pas d’un, mais de deux interrogateurs.

Les questions se multiplient. Les interrogateurs divisent le couple et mènent des entretiens séparés, en opposant ce que l’un dit à l’autre. Ils les manipulent tous les deux, prétendant détenir des connaissances qu’ils ne possèdent pas. Les situations atteignent un sommet d’absurdité lorsque l’interrogateur demande à Elena de lui exécuter un numéro de danse. Alors que le couple subit une angoisse psychologique de plus en plus intense, le spectateur est hanté par des questions : quel est précisément le but des interrogateurs ? Pour découvrir la vérité ? Pour détruire leur relation ? Pour les séparer, par pur plaisir sadique ? Les faire avouer même s’ils ne sont pas coupables, afin qu’ils puissent se voir refuser l’entrée dans le pays ?

Le film dévoile intelligemment les manières dont le pouvoir opère aux frontières de nos « pays protégés ». Il nous demande de reconsidérer les lois qui donnent aux agents frontaliers le pouvoir de priver les citoyens de tous leurs droits. En effet, une fois le couple entré dans le domaine des bureaux d’inspection, les deux interrogateurs semblent avoir l’autorisation de faire absolument tout ce qu’ils veulent avec les détenus. Ils peuvent les fouiller, poser n’importe quelle question personnelle, les séparer, les manipuler, fouiller dans leur téléphone, leurs ordinateurs portables, leur demander leurs mots de passe, leur demander de danser…

Le moment de tension maximale du film est une scène où Diego se retrouve seul dans la salle d’interrogatoire, confronté à la tentation de feuilleter rapidement le dossier laissé sur le bureau. Même si le film aurait peut-être pu bénéficier d’une plus grande flamboyance cinématographique, l’esthétique générale conçue par les réalisateurs et les partitions formidablement interprétés par les acteurs parviennent à mettre en relief l’atmosphère stérile mais ô combien pesante et anxiogène de l’environnement standardisé et inhumain des bureaux de sécurité des aéroports. Mais le couronnement de ce film est le montage d’Emmanuelle Tiziani, qui lui insuffle une énergie incessante et angoissante.

 

Titre original : Upon Entry (La llegada)

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Durée : 77 mn


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