Journal de bord Festival de Cannes : Le Deuxième acte

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Nouveau film du prolifique cinéaste Quentin Dupieux, Le Deuxième acte débarque dans nos salles de cinéma françaises dans la foulée de l’ouverture de la 77e édition du Festival de Cannes.

Depuis Réalité, Quentin Dupieux explore une forme de cinéma rare et précieuse dans notre riche cinématographie hexagonale. À raison de films courts, aux castings cinq étoiles et aux concepts ingénieux, le réalisateur d’Au poste!, Le Daim et Mandibules semblait avoir trouvé en ces petits bonbons acidulés une inventivité et une liberté excitantes. Hélas, quelques sévères ratés (Incroyable mais vrai, Fumer fait tousser) ont montré les limites d’une mécanique parfois précipitée et répétitive.

Ainsi débarque Le Deuxième acte, qui condense tous les paradoxes qui traversent le cinéma de Quentin Dupieux. Dans cette histoire de comédiens/comédiennes qui participent au tournage d’un film qui ne les stimule pas beaucoup, Dupieux étire des gags plus ou moins simples et plus ou moins efficaces, abusant de la limite entre comique de répétition et remplissage lourdingue. Si certains gags (le verre de vin) trouvent dans la durée un excitant renouvellement, d’autres (la transphobie d’un personnage) prolongent une situation comique épuisée en quelques secondes.

 

Le Deuxième acte (Quentin Dupieux, 2024)

 

Mais plus intéressant, dans Le Deuxième acte, cette fatigue de la forme est aussi politique. En effet, en une collection de tirades plus ou moins inspirées, le cinéaste aborde un certain nombre des problématiques qui agitent le monde du cinéma contemporain occidental (panique morale, MeToo, intelligence artificielle). Une frontalité qui tourne souvent à vide, au risque de paraître thématiquement superficielle.

Mais ce serait oublier que Quentin Dupieux n’est pas un cinéaste à discours. Il n’est pas de ces auteurs qui exposent, mais de ceux qui captent une humeur, un sentiment latent. Dans Le Deuxième acte, ce qui passionne Dupieux c’est moins l’argumentaire de ses protagonistes que la place qu’ils occupent dans le monde. Comment habitent-ils le réel ? Quelle place lui laissent-ils ? Du Dupieux tout craché, d’autant que le réalisateur s’amuse une nouvelle fois à réorganiser les frontières de la fiction en mettant en scène des acteurs/actrices (Seydoux, Garrel, Lindon, Quenard), qui jouent eux-mêmes des comédiens/comédiennes inspirés de leurs interprètes, qui incarnent à leur tour des personnages dans un film (Florence, David, Guillaume, Willy), lui-même film dans un film.

Si le caractère ludique de l’entreprise s’essouffle rapidement, c’est pour mieux questionner le statut même du discours prononcé dans (et non par) le film. Lorsqu’un protagoniste évoque la Cancel Culture, qui parle ? L’acteur ? Le personnage ? Dupieux ? Tous à la fois ? De ce flou volontaire, Dupieux tire un profond malaise. Celui provoqué chez le spectateur, bien sûr, mais aussi celui d’une industrie, dont la rupture avec la réalité du monde n’a jamais été aussi exposée. Cynique et réactionnaire, Le Deuxième acte l’est assurément, mais comme pour saisir l’inquiétude de cette élite de cinéma dont la superficialité et la violence sociale assumée ne suffisent plus pour habiter le réel.

 

Le Deuxième acte (Quentin Dupieux, 2024)

 

Il est là le paradoxe, à la fois beau et irritant, de ce Deuxième acte. Le film est simultanément une déclaration d’amour à l’industrie du cinéma, et le constat de son évident épuisement. En témoigne la place que les comédiens/comédiennes occupent dans le long-métrage. Depuis son retour en France, Quentin Dupieux a montré plusieurs fois qu’il fait partie des directeurs d’acteurs/actrices les plus impressionnants de sa génération (pour ne citer qu’eux : Dujardin dans Le Daim, Drucker dans Incroyable mais vrai, Quenard dans Yannick). Dans Le Deuxième acte, le casting est impressionnant de souplesse et de précision – mention spéciale au magnifique Manuel Guillot, qui illumine le film de sa sensibilité. Film d’acteurs/actrices, ce nouveau Dupieux l’est assurément, mais il capte également, avec brutalité, l’hypocrisie, l’égocentrisme et la violence sociale qui régissent ce milieu.

Un double exercice qui rend Le Deuxième acte simultanément ludique et mal-aimable, jusqu’à un dernier tier d’une étonnante mélancolie où le casting revêt un énième costume pour réinvestir le réel. Drôle de film que ce Deuxième acte, qui ne nous aura peut-être pas beaucoup fait rire, qui est parfois franchement agaçant, mais qui raconte tant du monde dans lequel il a été produit, et de ce qu’il reste encore à y déconstruire.

Titre original : Le Deuxième acte

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Durée : 80 mn


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