Le défi était de taille. Monstrueux de précision, d’efficacité et d’épure, Mad Max : Fury Road s’est rapidement imposé comme l’un des sommets du cinéma de divertissement de la décennie passée. Près de dix ans plus tard, George Miller, à presque quatre-vingts ans, transforme une nouvelle fois l’essai avec Furiosa : une saga Mad Max.
Une prouesse d’abord formelle, puisque si Furiosa est le parfait prolongement thématique et plastique de Fury Road, ce nouvel opus déconstruit les fondements narratifs sur lesquels est bâti son prédécesseur. D’un récit simple, condensé en à peine plus de vingt-quatre heures, Furiosa étend son intrigue en cinq chapitres, étalés sur plusieurs décennies. Aussi, à la citadelle isolée et aux routes désertiques s’ajoute un terrain de jeu plus varié (canyons étriqués, cités industrielles). Une diversité et une ampleur bienvenues, qui permettent à l’univers de George Miller de se déployer dans toute sa richesse et sa créativité, avec un souffle épique inédit dans la franchise.
Une inventivité qui se retrouve dans la mise en scène du film, et dans l’effort constant de Miller à renouveler son dispositif formel après Fury Road. Là où le découpage et le montage du précédent opus impressionnaient déjà par leur électricité, le savoir-faire du cinéaste et de son équipe atteint dans Furiosa un niveau de technicité et d’expressivité simplement sidérant. Souci constant de la profondeur de champ, fluidité entre horizontalité et verticalité de l’action, effets de surgissements dans le cadre, rugosité du travail sonore, plasticité de la photographie, ampleur du cadre et précision du montage : ce nouveau Mad Max mobilise un arsenal de cinéma ahurissant de richesse, et ce avec une explosive générosité.
Cette fièvre, George Miller et ses coscénaristes Nick Lathouris et Prateek Bando l’organisent en une structure qui gère aussi bien ses moments d’exaltation formelle, que ses temps morts nécessaires. Justement, après un Fury Road qui donnait la sensation d’un shoot d’adrénaline (quasi) ininterrompu, Furiosa prend étonnamment son temps. Une minutie d’écriture qui permet à Miller et à son équipe de mieux lâcher les chevaux dans quelques-unes des séquences d’action déjà parmi les plus impressionnantes de la décennie. Il est aussi là le génie de George Miller : réussir, dans un blockbuster où l’on court, vole, crie, pleure et explose, à insuffler un rapport très concret à son univers. Dans Furiosa, pas de tour de passe-passe narratif, ni de deus ex machina écrasant : si une moto n’a plus d’essence, elle s’arrête, et si un canyon est bouché par un camion renversé, il faut foncer dedans. Ce matérialisme donne de la chair à ce divertissement d’acier et de sang, qui n’en est que plus engageant et renversant.
Un caractère organique, qui passe par un travail virtuose de la photographie et des effets spéciaux, mais aussi par le casting de ce Furiosa. On y trouve une Anya Taylor-Joy qui y oscille brillamment entre un magnétisme hypnotisant et une intense physicalité. Et en face d’elle, un impressionnant Chris Hemsworth dans une composition en perpétuelle mutation, qui passe d’un élégant mutisme à un généreux grand-guignol, pour finir vers une surprenante tristesse.
C’est qu’à l’instar de son grand méchant Dementus, Furiosa passe de la folie furieuse à une étonnante mélancolie. Comme Fury Road, qui révélait progressivement sa bouleversante médiation sur la recherche d’un ailleurs, ce nouvel opus se dévoile en dernier lieu comme un conte philosophique sur l’héritage de la violence. Ainsi, c’est avec un doux mélange de noirceur et d’espoir que se clôt le film, commentant et augmentant cette odyssée vengeresse d’un magnifique regard humaniste : même des plus sombres racines peuvent pousser les plus beaux arbres.