Troisième long-métrage documentaire
Fils du scénographe et décorateur renommé, Richard Peduzzi, qui a travaillé notamment avec Patrice Chéreau sur ses plus belles créations, Nicolas Peduzzi a fait ses études aux USA pour suivre les cours de Susan Batson. Après quelques courts-métrages, il est reconnu avec son premier long-métrage documentaire, Southern Belle, sorti en France en 2018. Puis c’est au tour de Ghost Song, sélectionné à l’ACID en 2021 à Cannes. Etat limite est son troisième long-métrage documentaire présenté cette année encore au festival de Cannes dans le cadre de l’ACID. On pourrait le présenter comme un miroir déformant du film de Nicolas Philibert, Ours d’or à la 73ᵉ Berlinale, Sur L’Adamant, car tous les deux parlent à leur manière de la folie. Mais autant l’un, Sur L’Adamant, montre une sorte de nef des fous dans laquelle les malades sont plutôt bien encadrés et traités, autant l’autre, Etat limite, présente un état des lieux assez désespéré.
Navire à la dérive
L’Adamant est une péniche poétique du style de L’Atalante, Etat limite est plutôt un grand paquebot à la dérive sur lequel le capitaine semble errer pour éviter le pire. C’est ainsi d’ailleurs qu’il faut entendre le titre du film : l’hôpital, en l’occurrence l’hôpital Beaujon à Clichy où Nicolas Peduzzi a installé sa caméra, est dans un état limite, proche de craquer car l’Etat a ses limites qu’on constate chaque jour aussi dans toutes les administrations : hôpital, EHPAD et écoles compris. Le capitaine en question, c’est le docteur Abdel-Kader, psychiatre de liaison, qui navigue à vue aux urgences du service de réanimation, s’occupant de patients atteints de troubles mentaux ou en état d’addiction gravissime.
Limite de L’État
En dépit des impératifs de rendement et du manque de moyens, il s’efforce d’apaiser leurs maux sur cette sorte de grand radeau de la Méduse. Il faut bien sûr y lire la métaphore de la dérive de nos sociétés malades du néolibéralisme. Comment bien soigner dans une institution malade ? Comment survivre dans une société qui se moque bien pas mal de la santé et de la maladie de ses membres ? Cela n’a pas échappé certes à trois réalisateurs de l’ACID, Lucas Delangle, Laure Vermeersch et Idir Serghine : « État limite fait le constat d’une société malade, rongée de l’intérieur par la voracité de son modèle libéral. Une société qui détruit les esprits et les corps, pervertit les moyens qu’elle se donne pour se soigner. (…) Nicolas Peduzzi filme ce médecin comme un super héros. La conscience aiguë que tout ne tient qu’au dévouement sacrificiel des médecins et des soignants s’impose. Mais jusqu’à quand ? » Et malheureusement, depuis le tournage du film, rien ne s’est arrangé bien au contraire, et on constate de jour la dérive de cet état limite qui, bientôt, sera totalement invivable. Et on aura beau faire des films et des films, hélas…