Le film-catastrophe et la « poétique de la destruction »
Réalisé en 1906 par la Biograph Company, Après le tremblement de terre de San Francisco est bien souvent cité comme le premier film-catastrophe de l’histoire du septième art. Il montre un quartier de la ville réduit en cendres, à la suite du terrible séisme qui toucha la Californie au début du XXe siècle. Le genre n’a cessé d’évoluer depuis, connaissant des périodes plus ou moins fastes. Au fil des décennies apparaissent de nouvelles manières de représenter et de mettre en scène le fléau : la « poétique de la destruction » traverse les époques et les genres (péplum, western, film d’espionnage, science-fiction…). « De film en film se répètent des structures narratives communes, apparaissent des personnages récurrents et des images stéréotypées. Ce n’est pas seulement le récit biblique qui affleure dans les images, mais aussi les souvenirs et échos des autres films. Ces relations interconiques donnent aux fictions de l’apocalypse un aspect très prévisible qui est paradoxalement l’envers de leur aspect sensationnel et spectaculaire. »
Attente, actualité, mémoire : les trois temps de l’apocalypse
L’apocalypse n’est pas toujours traitée comme un moment ponctuel : il peut s’agir d’une expérience passée, présente ou à venir, chacune de ces modalités suscitant l’apparition de personnages emblématiques. Lorsque la menace se profile à l’horizon (Le Pic de Dante), certains individus l’anticipent et endossent le rôle de « voyants » : la figure du prophète rivalise alors avec celle du scientifique prévisionniste. Malheureusement, leurs avertissements ne sont que rarement pris au sérieux par leurs concitoyens. Quand la catastrophe se produit (Volcano, Deep Impact), les héros deviennent des « combattants » prêts à affronter les situations les plus périlleuses pour préserver leur vie et celle de leurs proches. Enfin, il arrive que l’apocalypse ait déjà eu lieu (La Route) : les personnages font alors partie des rares « survivants » qui tentent de subsister dans un monde à l’agonie.
Dans les deux premiers types de récits, les effets spéciaux sont démultipliés et le gigantisme privilégié (saturation). Ce n’est nullement le cas dans les univers post-apocalyptiques, caractérisés par des lieux vides et désolés, peuplés de petites communautés (raréfaction).
Les films-catastrophes sont marqués par les notions d’inexorabilité et de prédétermination (Le Jour d’après, Prédictions, 28 jours plus tard, La Prophétie des ombres…). Ils jonglent généralement entre la figure de l’homme commun, qui se contente de lutter pour sa survie, et celle du scientifique capable d’anticiper le désastre. L’expert prend souvent conscience du danger au début du film et tente de faire entendre une vérité qui dérange. Pourtant, les autorités hésitent toujours à prendre au sérieux ses prévisions : la « lenteur à croire à la prophétie rend plus dramatique l’absence de temps à disposition ». Toujours annoncée, la catastrophe surprend pourtant par son ampleur ou sa rapidité (elle arrive généralement plus tôt que prévu).
Hergé, L’Etoile mystérieuse
Eléments religieux et culture populaire mainstream
Le cinéma populaire se nourrit en permanence de motifs religieux : 2012 de Roland Emmerich s’appuie sur la prophétie maya qui suscite un curieux engouement depuis quelques années, mais aussi sur le récit biblique de l’Arche de Noé. Face au risque imminent de destruction de la croûte terrestre, le gouvernement américain ordonne la construction d’arches gigantesques dans l’Himalaya, destinées à sauver une petite partie de l’humanité. De même, Le Livre d’Eli « présente une alliance singulière entre éléments religieux et culture populaire mainstream » : le film met en scène un prophète chargé de conduire en lieu sûr l’ultime copie de la Bible, mais réunit aussi les éléments caractéristiques de l’action movie (duels, poursuites, violence, ironie…).
Récits cathartiques ou images anticipatives
Pourquoi une telle prolifération d’images de fin du monde, de récits apocalyptiques ? Cecil B. DeMille disait que « pour aider les gens à surmonter leur crainte de voir leur maison s’écrouler, il fallait leur faire assister à des écroulements reconstitués en studio ». Le film-catastrophe disposerait donc de vertus thérapeutiques en nous purgeant de « cette peur ancestrale d’un ciel qui pourrait nous tomber sur la tête ».
Le Pic de Dante (Roger Donaldson, 1997)
Etrangement, la tendance du cinéma américain à filmer le désastre n’a cessé de s’accentuer depuis le début du XXIe siècle. « Les raisons de la fascination de l’Amérique pour la mise en scène de sa propre destruction n’en restent que plus mystérieuses. »
Sebastien Fevry, Serge Goriely, Arnaud Join-Lambert, L’Imaginaire de l’apocalypse au cinéma. Editions L’Harmattan. 198 pages.