Livre « Cinéaste de la révolte » : Wakamatsu passe à l’attaque

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Point d´orgue d´une fin d´année placée sous le signe de Koji Wakamatsu (son Soldat Dieu est sorti le 1e décembre), le livre « Cinéaste de la révolte » revient sur la filmographie et le parcours de << l´enfant terrible du cinéma japonais >>. Plus qu´un portrait : un voyage dans le cerveau d´un réalisateur en butte à toute forme d´autorité.

Nul besoin d’être particulièrement familier avec le cinéma de Koji Wakamatsu pour apprécier Cinéaste de la révolte. Les profanes trouveront certes une introduction en douceur et les connaisseurs d’intéressantes clés de lecture. Notes de production, long entretien avec Go Hishawara, spécialiste du cinéma underground des années 60, article entièrement consacré au Soldat Dieu (chroniqué ici). L’explication de texte sur sa filmographie est bien là, souvent passionnante bien que n’évitant pas les redites. Le critique de cinéma Jean-Baptiste Thoret joue les médiateurs entre le lecteur et le cinéma de Wakamatsu en ouverture, auscultant la trajectoire du réalisateur sous l’angle de « la radicalité – politique, esthétique et commerciale. » Rythmé et passionné, ce texte dévoile une œuvre foisonnante et complexe : plus de cent films, parfois bouclés en quelques jours seulement. L’utilisation du huis clos, le mélange de sexe et de violence comme alpha et oméga de la révolte face à l’autorité : Thoret explicite les figures récurrentes de ses films pour mieux illustrer un principe auquel le réalisateur n’a encore jamais dérogé : « Tout pouvoir est ridicule. »

Le cinéma guerilla

Le contre-pouvoir, à l’inverse, offre de bien plus intéressantes perspectives. Contre-pouvoir politique, chaque film – ou presque – de Wakamatsu déclenchant les foudres de la censure. Jusqu’à frôler l’incident diplomatique entre l’Allemagne et le Japon lorsque Les Secrets derrière le mur fut sélectionné au Festival de Berlin en 1965. Contre-pouvoir aussi face aux studios, à leur mode de production et à leur mainmise sur le cinéma japonais. Lors de l’achat d’une petite salle de cinéma provinciale, Wakamatsu se voit comme un Che Guevera du cinéma, prêt à renverser la dictature des studios « à partir de la jungle ». Parce qu’il faut bien commencer quelque part. Et pour ne pas se laisser dévorer, Wakamatsu choisit le maquis. Ou, plus précisément, le pinku eiga (le cinéma érotique japonais), véritable terrain de jeu pour gripper la machine en injectant une forte dose de discours politique, suivi par la suite de la création de sa propre maison de production.

« Le discriminé qui a poursuivi dans sa discrimination », c’est ainsi que voit Nagisa Oshima, son producteur sur L’Empire des sens. Reprenant un article publié dans une revue de cinéma japonaise, Cinéaste de la révolte dévoile, par le biais d’Oshima, les recettes de la longévité de Wakamatsu. Réunissant une équipe de fidèles collaborateurs, il reste à la marge du cinéma japonais grâce à des budgets réduits au strict minimum (les films à trois millions de yens – environ 26 000 €), allant même parfois jusqu’à financer lui-même les projections, faute de distributeur « courageux. »

Un homme en colère

Mais c’est dans les mots de Wakamatsu lui-même que le livre s’avère le plus passionnant, débordant du cadre du cinéma pour plonger dans l’esprit du réalisateur. Parfois naïf, toujours sincère, mordant et porté par une forte vision (personnelle) du monde et du cinéma, Wakamatsu n’est pas du genre à verser dans le compromis, bien qu’il ne rechigne pas toujours à se remettre en question. Témoin : le formidable récit d’un voyage en Palestine, qui semble l’avoir renforcé dans ses convictions tout en le changeant irrémédiablement. Témoin aussi : un épisode en Corée du Sud au cours duquel il s’interroge sur ce à quoi ressemble le Japon vu de l’étranger et dans lequel un humour surréaliste laisse peu à peu la place à une sensation de cauchemar ensanglanté.

Garçon de la campagne, fugueur, ex-yakuza, c’est en prison que sa vocation pour le cinéma a pris forme : « J’ai commencé à réaliser des films parce que j’étais très en colère et je savais que si j’exprimais cette colère dans la vie réelle je serais devenu un criminel. Ainsi, je pouvais assassiner des personnages que je ne pouvais pas tuer dans la vraie vie » explique-t-il à Jean-Baptiste Thoret. Et de conclure : « Dans le métier de cinéaste, il n’y a aucune limite à vos désirs. »

La sortie du Soldat Dieu et la rétrospective que lui consacre la Cinémathèque (jusqu’au 9 janvier) donnent l’occasion d’aller vérifier. On peut également se pencher sur La Femme qui voulait mourir (1970), dont l’édition dvd est inclue avec le livre. Un film interdit au Japon parce qu’il reprenait les images du suicide de l’écrivain Mishima. Cinéaste de la révolte ? Cinéaste révolté, tout autant.

Cinéaste de la révolte, Editions Imho, 29 €
www.imho.fr


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