Liliane s’affirme comme une réponse de la Warner au sulfureux Red-Headed Woman (Jack Conway) produit par la MGM l’année précédente et dans lequel Jean Harlow gravissait les échelons de la haute société en usant de ses charmes. Bien que marqué chacun par le spectre de la Grande Dépression, les deux films diffèrent dans le ton et principalement du fait de la personnalité de leurs actrices et héroïnes : rigolard et coquin dans Red-Headed Woman de par les exactions de Jean Harlow dont le capital sympathie faisait tout passer, plus sombre dans Liliane, manifeste féministe venant justifier l’attitude de Lily Powers (Barbara Stanwyck). Ayant grandi dans la fange d’un quartier pauvre d’une ville du sud des États-Unis puis été servante dans le bar miteux de son père, elle a régulièrement été confrontée au machisme et à l’attitude libidineuse de clients répugnants qui, entre mains baladeuses et remarques salaces, donnaient une vision désastreuse de la gent masculine.
Le dégoût des hommes de Lily remonte à loin, à son père surtout, qui l’abusa et la donna en pâture aux puissants pouvant contribuer à ses affaires. Lorsque ce géniteur indigne meurt accidentellement, le seul homme l’ayant jusque-là soutenue la pousse à endosser son destin. Son attrait physique, qui a toujours fait d’elle la proie des hommes, doit désormais lui servir d’arme pouvant lui permettre de dominer et d’accéder aux sommets. Dès lors, les airs aguicheurs, les robes moulantes et les regards brûlants constitueront des pièges implacables dans lesquels tous les hommes se laisseront prendre. Et si Liliane est moins ouvertement « sexy » que Red-Headed Woman et son festival de nudité, il n’en est pas moins provocateur, car les hommes tels qu’ils y sont dépeints justifient pleinement l’attitude de l’héroïne. Lily arrive en guenilles et sans le sou au pied de l’immense building qui abrite la banque tandis que la caméra d’Alfred E. Green arpentera les étages de l’extérieur au fil de son ascension. Car à l’intérieur, les tenues se font de jour en jour plus sophistiquées, la séduction plus subtile et les cibles à conquérir, toujours plus puissantes. À tour de rôle, les chefs de service, directeur et vice-président, succomberont tous, leur rang, âge et supposée morale étant balayés par le désir irrépressible qu’éveillera en eux Lily. Barbara Stanwyck est comme d’habitude formidable de vérité, la froide détermination de son personnage se lisant constamment sous des attitudes provocantes laissant néanmoins deviner un passé autrefois difficile et misérable.
La présence glaciale dissimule pourtant un vrai dépit se révélant par intermittences, que ce soit ce soir de Noël passé en solitaire où le terrible fait divers qu’elle provoquera mais qui, comme souvent, révélera l’inconsistance masculine. La rencontre avec un homme sachant ce qu’elle est (George Brent), prêt à l’aimer au-delà du simple assouvissement charnel, fera peut-être vaciller l’ambitieuse. C’est en tous cas ce que suggère la conclusion du film, certes justifiée par la censure. Une séquence retrouvée en 2004, incluse dans la version restaurée du film, la rendra pourtant bien plus cinglante et amorale, confirmant ainsi que Liliane demeure l’un des films Pré-Code les plus brillants de son époque.