Dans Un autre homme (2009), Lionel Baier épinglait le petit monde de la critique cinéma : son film, bien qu’une comédie, avait un ton acerbe, et l’humour le disputait à un goût amer. Les Grandes Ondes ose plus franchement être drôle, et sa peinture d’un reportage au rabais est souvent hilarant. Le cinéaste retrouve cette capacité à se moquer de soi-même, les relations Suisse-Portugal faisant l’objet de saynètes savoureuses, et Baier réussit parfaitement la mise en scène du travail de journaliste radio sur le terrain. Que les animosités entre Julie et Cauvin (qui donnent certaines des scènes les plus cocasses) finissent par s’éclaircir ne nuit aucunement au charme du film, puisqu’il s’intéresse plus à la dynamique de groupe et à son quotidien qu’à la trajectoire de chacun. Hôtels miteux, traductions approximatives, interviews qui ont du mal à se faire (merveilleuse séquence de l’ouvrier raciste) ou travaux laissés à l’abandon traduisent parfaitement le travail de journaliste radio, et permettent aux Grandes Ondes de naviguer sans encombre vers sa deuxième moitié, la meilleure, quand l’équipe se trouve catapultée en pleine révolution des Oeillets.
C’est à cet endroit que le film déploie son vrai motif : l’influence de la grande Histoire sur la petite. Le cinéma a souvent été prétexte à l’inverse – partir de l’individuel pour raconter le collectif -, et Lionel Baier a la bonne idée de ne pas chercher à retranscrire la révolution, mais observe plutôt l’effet que celle-ci a pu avoir sur les individus, eussent-ils été partie prenante ou non du mouvement. Ainsi, un face-à-face de factions rivales dans les rues lisboètes donnent lieu à un intermède de comédie musicale (sur fond de Porgy and Bess de Gershwin, omniprésent dans la bande-son) ; la chute de Salazar est ici prétexte à une nuit de libération sexuelle pour les héros du film. Car ce que capte Les Grandes Ondes, c’est bien le phénomène du “au bon endroit au bon moment”. L’équipe radio pourra faire un reportage digne de ce nom (et glaner un prix au passage), la nuit du 25 avril est surtout l’occasion pour ses membres d’une liberté soudaine, d’une spontanéité ponctuelle qui s’évanouira dès le jour levé, culs nus sur une terrasse face au Tage. Le film, après Comme des voleurs (à l’est), est le deuxième d’une tétralogie consacré aux relations européennes, aux quatres points cardinaux du continent. Il dit bien quelque chose de la politique de l’époque, mais aussi de la crise que traverse l’Union aujourd’hui. Lionel Baier le confesse en dossier de presse : “Quand la situation devient vraiment critique, il est temps de faire une comédie.” Ses Grandes Ondes prêtent à rire, en même temps qu’elles font rêver à un nouveau soulèvement populaire, sans arme ni violence.
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