Les Délices de Tokyo

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Un film émouvant sur le sucre de la vie, porté par la délicate Kirin Kiri.

Elle se lève avant les oiseaux, lui n’aime pas la nourriture sucrée mais tient pourtant une échoppe qui vend des dorayakis, pâtisseries délicates composées de pancake fourré d’une pâte aux haricots rouges confits. Elle est un petit bout de femme qui n’a pas loin de quatre-vingt ans, au visage doux et malicieux sous son chapeau cloche en laine, bien connue du cinéma d’Hirokazu Koreeda. La touchante Kirin Kiri est Tokue, figure solitaire mais rieuse en recherche d’un travail. A Sentaro, regard triste et caractère taiseux, elle fait découvrir sa délicieuse recette pour faire la pâte des dorayakis. Sous le charme de sa préparation goûteuse, il accepte de l’embaucher. Cette rencontre, complétée par la présence de la jeune Wakana, lycéenne livrée à elle-même qui vient à l’échoppe après les cours, en fugue avec son canari, a valeur de regain de vie et de lumière pour les trois personnages, généré autour de ces pâtisseries sensorielles.

Dans ce dernier film de Naomi Kawase, la cuisine des dorayakis devient l’ouvroir sensible et poétique de l’oeuvre. La nature s’est quelque peu retirée, nous ne sommes plus dans La Forêt de Mogari(2007) ou sur les îles Amami (Still the Water, 2012), sa force spirituelle et philosophique s’est déplacée ailleurs, bien que de somptueuses fleurs de cerisier de Tokyo accompagnent le film de leur présence, Tokue investissant leur potentielle voix. Les Délices de Tokyo fait ici l’économie d’une nature divine, si l’on pense aux précédents longs métrages de la réalisatrice. Le film se rend plus accessible, reste plus en surface, mais n’en est pas moins profond, comme une balade existentielle un peu éthérée. Ce petit bonhomme de chemin aux abords légers suite à l’heureuse arrivée de la vieille dame dans l’échoppe glisse peu à peu vers quelque chose de plus sombre. Les mains miraculeuses de Tokue qui produisent les dorayakis présentent des déformations propres aux symptômes des gens ayant souffert de la lèpre. Cette séquelle visible l’amène à devoir démissionner, contre la volonté de l’impuissant Sentaro. Le récit alors se déplace.

Les dorayakis s’éloignent, Sentaro et la jeune Wakana découvrent la vie de Tokue, isolée dans un bâtiment, autant dire en quarantaine, avec d’autres personnes atteintes de la même maladie. Ce second acte du film rappelle la terrible discrimination dont sont victimes encore à l’heure actuelle les Japonais atteints de la lèpre (la mise en place d’un traitement curatif après 1945 n’ayant hélas pas mis de terme à cette exclusion). Sans avoir la majesté visuelle de ses films précédents, Les Délices de Tokyo se met à fonctionner à partir de fragiles percées sensibles, de successions de plans qui peuvent disparaître d’un moment à l’autre, chacun étant une empreinte souterraine de Tokue sur les deux autres personnages, saisis par le bouleversement aussi soudain que durable qu’elle produit sur eux. Depuis sa prison, toute sa vie marginalisée de la société, elle leur laisse un magnétophone rempli de ses paroles. Comme pour leur mettre en tête cette phrase de l’écrivain Heinrich von Kleist qu’elle aurait pu faire sienne : « Ami, ne néglige pas de vivre car elles fuient les années et le suc de la vigne ne nous embrassera pas longtemps. » Achevant de donner un élan silencieux à la jeune Wakana, qui clôt le film de sa présence, prête à embrasser la vie, sur une tonalité douce-amère mais prometteuse.

Titre original : An

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Durée : 113 mn


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