Le Vent garde son secret

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Par le regard d’enfant, la religion retrouve son apaisement originel.

Whistle Down the Wind est un magnifique film sur l’enfance et la perte de l’innocence, qui constitue en quelque sorte le pendant anglais de Du silence et des ombres de Robert Mulligan. Le film était l’occasion de constater le talent précoce d’Hayley Mills dans un registre plus dramatique, elle qui était à cette période la jeune star des productions Disney. Le film est d’ailleurs une adaptation d’un roman de Mary Hayley Bell (qui coécrit le scénario avec Keith Waterhouse), la mère d’Hayley Mills. On y retrouve cette atmosphère rurale si particulière qui fera plus tard le charme de Sky West and Crooked, le premier rôle adulte qu’elle écrira pour sa fille dans un film réalisé par son époux John Mills.

L’aspect racial de To Kill a Mockingbird disparaît totalement ici pour une approche de la religion naïve et touchante par son regard enfantin. Kathy (Hayley Mills) est donc une fillette vivant en campagne avec ses jeunes frère et sœur Nan et Charles. Ayant perdu leur mère, ils sont élevés par leur rugueuse tante et leur père (joué par Bernard Lee, le futur M des onze premiers James Bond), qui est bien plus occupé par la gestion de son domaine fermier. Ainsi livrés à eux-mêmes, les trois enfants menés par leur grande sœur vivotent au gré de leur pérégrination dans la nature environnante de leur ferme et du petit village. Un jour, après avoir sauvé des chatons de la noyade, Kathy a un mot malheureux où elle remet en cause l’existence de Jésus, ce qui lui est fortement reproché par sa sœur. Tenaillée par le remord, elle croit ainsi voir le Christ revenu sur terre dans sa grange alors qu’il s’agit d’un meurtrier blessé et en cavale (Alan Bates dans son premier rôle à l’écran). Une étrange relation va s’ensuivre.

 

Le film offre ainsi une vision contrastée de la religion selon l’interprétation qu’en font les enfants ou les adultes. La naïveté et l’innocence de celle des enfants rendent finalement toute sa simplicité bienveillante au message originel, parvenant à ébranler la dureté d’un criminel endurci (d’ailleurs, hormis un avis de recherche placardé, Alan Bates n’est presque jamais nommé par son vrai nom comme pour maintenir l’illusion des enfants). A l’inverse, les adultes y voient des principes à respecter plus qu’une croyance, des paroles sacrées à retenir plus qu’à comprendre. Une scène s’avère criante à ce titre lorsque Kathy souhaite consoler son frère de la perte de son chaton et interroge le curé sur la raison pour laquelle Jésus laisse certains êtres mourir. Ce dernier n’a qu’une formule toute faite et insipide à lui offrir, sans comprendre les interrogations et la détresse de l’enfant face à l’injustice de la mort. La croyance imprègne ainsi cette communauté mais de manière superficielle à l’image du personnage de Patricia Heneghan officiant à l’armée du salut et passant le film à psalmodier mécaniquement des paroles vidées de leur sens. Finalement, dans leur erreur, les enfants s’avèrent donc paradoxalement les plus sincères. Bryan Forbes capte magnifiquement cette atmosphère campagnarde par sa mise en scène épurée et un cadre magnifié par le superbe noir et blanc d’Arthur Ibbetson.

 

Le film est gorgé de symboles plus ou moins prononcés faisant le rapprochement entre l’aventure des enfants et les Evangiles. L’ombres des rois mages plane lorsque les trois enfants viennent apporter des présents à Alan Bates réfugié dans leur grange (les halos de lumière traversant l’obscurité du lieu instillent aussi cette atmosphère), un gamin malmené par la brute du village va renier trois fois avoir vu Jésus, un sifflement se faisant entendre au loin (et donnant son sens au titre) à la troisième imprécation. La mise en scène de Forbes joue largement de cette analogie, la visite du groupe d’enfants dans la grange évoque par sa disposition les disciples entourant Jésus, plus tard un cadrage en plongée de Nan s’adressant à Alan Bates (réfugié en haut de la grange) accentue l’aura divine que lui associent les enfants et le final, lors de l’arrestation de Bates, qui adopte la posture en croix christique selon le point de vue de Hayley Mills. Le film évite tout prosélytisme puisque toute interprétation religieuse est soumise au regard et à la foi innocente des enfants et en particulier Hayley Mills une nouvelle fois très touchante. Le ton est d’ailleurs très ludique sous le drame grâce à la candeur et l’espièglerie des enfants et des stratagèmes dont ils font preuve pour nourrir « leur » Messie.

 

Alan Bates n’est jamais embelli ni investi d’un grand message mais l’émotion qui le gagne face à la confiance et l’amour que lui donnent les chérubins estompe progressivement son aura menaçante, et on comprend aisément le mystère (Forbes jouant judicieusement de l’analogie physique avec sa barbe et son regard bienveillant) que peut dégager pour les jeunes héros son mutisme. La traque dont il est l’objet ne fait d’ailleurs que renforcer l’illusion des enfants en transposant sa persécution à l’ère moderne, dans un beau final tout en retenue. Le film eut un impact certain sur la culture populaire anglaise puisqu’une transposition en comédie musicale suivra plus tard dans les années 90 et plusieurs groupes pop placeront des références à Whistle Down the Wind dans leur chanson comme New Order sur Vanishing Point (issue de l’album Technique en 1989) avec cette ligne fort parlante : « and they gave him away, like in ‘Whistle Down the Wind,’ by the look on his face, he never gave in« .

Titre original : Whistle Down the Wind

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Durée : 99 mn


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