Grande saga, série, mini-série, feuilleton romanesque…qu’importe, Le riche et le pauvre est tout simplement un événement télévisuel inclassable. Car sa diffusion aura marqué des millions de téléspectateurs à la toute fin des années soixante-dix et inspiré un grand nombre de showrunners dans les années qui ont suivies pour des séries comme : Dallas, Dynastie, Empire. Mais, si comme les derniers titres cités les adaptions des deux romans d’Irwin Shaw, Le riche et le pauvre, livres 1et 2, savent se rendre irrésistiblement addictives par leur grande habileté scénaristique, elles possèdent, en prime, un souffle et un impact émotionnel indéniables.
Récits Gigognes

Comme savent si bien le faire les grandes sagas littéraires et les grands mélodrames hollywoodiens, les chapitres 1et 2 du livre 1, un double épisode, nous plongent, au cœur d’un récit familial tourmenté, celui de la famille Jordache. Whitby, fin du second conflit mondial, le couple Axel (Edward Asner) et Mary (Dorothy Mc Guire), qui a perdu toutes ses illusions de jeunesse, consacrent son énergie à subvenir aux besoins du foyer, tandis que leurs deux fils, Ruddy (Peter Strauss) et Tom (Nick Nolte), que tout oppose -valeurs morales, ambitions- sont prêts à voler de leurs propres ailes. Un fait divers va venir faire éclater la cellule familiale. De là, la dramaturgie va se déployer avec une fluidité étourdissante sous la forme d’au minimum trois arcs narratifs, destinée de chaque frère, et de Julie Prescott (Susan Blakely), chaque épisode étant ponctué de rebondissements -parfois invraisemblables-, de surprises, de joies de courte durée, d’incidents ou d’accidents plus au moins irrémédiables.

Loin d’être un simple apparat environnemental, la grande Histoire des États-Unis, inspire, percute, dévie celle de l’histoire familiale : le racisme anti-allemand (origine du père), le développement économique sans précédent, la chasse aux sorcières, « le modèle Kennedy » en politique, la guerre de Corée… Le souffle majestueux d’une épopée de plus de vingt-ans pour la première saison – la plus passionnante des deux-, alors que la seconde saison se déroule sur une période bien plus condensée, l’ère de l’avènement de Nixon essentiellement.
Le bon, la brute, la belle et le monstre.
Le charisme, la force, les failles de la famille Jordache constituent le ciment de la série. Point d’ancrage de la première saison, les deux frères : archétypes contrariés de la mythologie américaine. Rudy, l’ambitieux, qui croit dur comme fer aux vertus du libéralisme; intègre une grande école, puis, en parfait self-made man multiplie les réussites financières, et se lance ensuite en politique. Un costume de premier de la classe sur mesure pour l’élégant Peter Strauss, qui ne manque jamais, dans les moments de tension, d’afficher un visage bien plus ambigu et menaçant pour s’imposer. Ses élans de repentance dans la deuxième saison ne lui font pas perdre pour autant cette complexité. Toute proportion gardée, Rudy Jordache s’inscrit dans la lignée de certains personnages incarnés par Robert Redford, celui de Nos plus belles années, et celui de The Candidate. Tout en muscles, Tom, l’impulsif, de la graine du baroudeur farouche, un Tough Guy qui règle les problèmes avec ses poings après une ou deux sommations d’usage. Nick Nolte, comme Eastwood ou Bronson, possède une carrure et une gouaille à la hauteur des défis. Nolte, proprement impressionnant dans un registre qu’il va conjuguer au pluriel durant sa longue carrière sur grand écran (Les guerriers de l’enfer, 48 heures, Underfire…).
Destinée depuis l’enfance à devenir la compagne de Rudy, Julie Prescott n’entend pas qu’on lui impose ni la direction ni le tempo de son existence. Désireuse de croquer la vie à pleine dent, elle se détache de son prétendant, les deux joueront ensuite pendant plusieurs années à Harry rencontre Sally. La place de la jeune femme, et, par conséquent, Susan Blakely -dont on peut s’étonner que la carrière se soit cantonnée quasi exclusivement au petit écran- n’est pas réduite à sa beauté resplendissante. Indépendante, journaliste et photographe émérite, elle damne le pion à bien des hommes avant de devenir, malheureusement une Sue Ellen (Dallas) avant l’heure. Dans la deuxième saison (Les héritiers), c’est une autre femme de caractère, Maggie Porter (Susan Sullivan) qui succèdera à Julie comme compagne de Rudy.
Les héritiers (seconde saison), ce sont Billy, le fils de Julie Prescott que Rudy va prendre sur son aile, et Wesley le fils de Tom. Le destin de Billy captive moins, dû en partie au manque d’aspérités de son interprète : James Carroll Jordan. Gregg Henry qui prête ses traits à Wesley est autrement plus conséquent, digne successeur de Nick Nolte pour incarner la fougue et la puissance. Mais le personnage le plus précieux pour nous tenir en haleine dans la seconde saison est Falconetti (William Smith). Le mal en personne, un psychopathe paranoïaque qui voue une haine obsessionnelle aux Jordache. Un physique impressionnant et surtout des expressions sardoniques glaçantes, de quoi mettre à tout le monde les nerfs à vif. Si cette série est restée dans les mémoires, c’est en grande partie grâce ou à cause de lui. « Plus le méchant réussit, plus la photo a du succès » disait Alfred Hitchcock.

Le Riche et le pauvre – L’intégrale – Coffret 8 Blu-ray + Livret chez Éléphant Films.




