Le nouvel âge du cinéma français – David Vasse

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Apologie du Cinéma d´auteur français des années 90-2000 selon David Vasse. Grandeur et décadence d´une certaine idée du cinéma.

A l’heure de la survivance difficile d’une certaine idée d’un cinéma français, David Vasse offre une mise en abîme des nouvelles tendances opérantes du cinéma d’auteur hexagonal, autour de 50 questions qui reprennent les grands thèmes de ce genre envié de par le monde pour son affranchissement des codes conventionnels, pour la fraîcheur des thèmes abordés et la finesse de la réalisation. Dans un paysage mis à mal par l’inexistence d’une politique culturelle viable de la part du gouvernement, le livre opère, à la manière d’une piqûre de rappel, par chocs épileptiques violents, par analyses complètes, par angiographie précise.

La tridimensionnalité du cinéma d’auteur français

Au commencement du cinéma d’auteur français, il y a l’auteur. Puis vient l’idée, originale et originelle, image particulière de Dieu, suivie de près par les acteurs pour les incarner. David Vasse décrypte dans son hagiographie le travail de ces réalisateurs messianiques, qui ont pris le soin de graver leur table de lois dans la chair et sur leurs kilomètres de bobines cinématographiques, marquage indélébile qui unit les mêmes membres d’une fratrie ouverte, signe de reconnaissance entre initiés du social :

– les corps tu ébranleras,
– le logos tu consacreras,
– l’espace tu ranimeras,
– le social tu évoqueras,
– la mort tu défieras,
– la joie et la tristesse tu montreras,
– la société tu dissèqueras…

Il faut reconnaître à David Vasse le courage de ses opinions, et de savoir imposer les exemples révélateurs dans un esprit synthétique et en dépit (affiché) de toute exhaustivité, tout en faisant preuve d’une parfaite érudition cinéphilique. Si le contenu et le choix des films est inévitablement un peu convenu (la petite famille se retrouve autour des piliers : Desplechin, Assayas, Lvovsky, Denis, Breillat, Beauvois, Amalric, Bruni-Tedeschi…), il n’en reste pas moins que l’ouvrage est agréable à lire et, en prenant le parti d’exemplariser ses questionnements par deux ou trois analyses plus fouillées, l’auteur agrémente son propos d’un regard souvent nouveau sur les films choisis. En 40 questions, le maître de conférences à l’université de Caen décortique méthodiquement les éléments qui font le cinéma d’auteur français. Analyse sur le fond qui laisse alors la place à une analyse sur la forme, et une nouvelle manière de « faire » le cinéma d’auteur dans une approche plus technicienne qui dissèque le sacre annoncé du numérique. Une 5è partie originale et déstabilisante, qui fait passer le cinéma de papa pour une vieillerie pittoresque, mais on ne peut s’empêcher de repenser aux interrogations de Godard sur le numérique :
« Le numérique permet d’être libre, mais libre pour quoi faire ? A quel moment ? En réalité, peu de choses changent. ».

Si dépressif et bavard soit-il, le cinéma français affiche au fil des pages sa belle vitalité et ce qui fait son originalité : sa profonde aspiration à s’ancrer dans le social et à se lover dans des problématiques marquées du sceau de la modernité, réaliste juste ce qu’il faut, incarné par touches infinitésimales et pondérées, pornographique (dans le sens où il n’hésite pas à tout montrer) par hérédité, voyeuriste par habitude.
David Vasse relève cette propension de l’auteur français à s’extérioriser par la parole dans une resucée de la maïeutique socratique, et dans une consécration du dialogue (et monologue) comme accoucheur de vérité, comme pierre angulaire d’un travail sur soi-même. Bien avant d’être un cinéma de la posture, il est loquace, et ce qui peut apparaître d’abord comme des bavardages intempestifs ne constitue en fait que les pièces d’un même puzzle : celui de l’introspection honnête de personnages arrivés à un moment critique de leur vie.
Barthes dans ses Leçons s’enthousiasmait :
« Cette tricherie salutaire, cette esquive, ce leurre magnifique, qui permet d’entendre la langue hors pouvoir, dans la splendeur d’une révolution permanente du langage, je l’appelle, pour ma part : littérature ». C’est bien cela qui est en jeu dans le cinéma d’auteur français, qui se rapproche d’une forme littéraire visuelle. Et la magie opère, grâce au parfait agencement entre des dialogues maîtrisés et un espace approprié avec raffinement et réflexion.

Le cinéma d’auteur français réinventerait une certaine idée du 7e art, prenant à bras-le-corps un logos impudique, consacrant l’omnipotence de la parole, réintégrant les espaces sensibles (famille, usine, banlieue) dans le casting, effeuillant des corps meurtris inassumés, qui essaient de cacher leur souffrance dans des frémissements épidermiques coupables. Des thèmes forts ont toujours permis de tisser des scénarii sensibles. L’épidémie de Sida, symbole d’un certain désenchantement et marquant la fin de l’insouciance amoureuse, s’est toujours imposée comme un sujet visuel, véritable force conscientisante qui permet une réflexion sociale et générationnelle. La banlieue, après des premières évocations convenues, est devenue un espace cinématographique défiant les idées reçues, s’affranchissant des stéréotypes et trouvant devant la caméra subtile et respectueuse de réalisateurs tels que Kechiche, une crédibilité que des années de désinformation avaient troublée.

Ce cinéma qui s’organise autour du triptyque parole – espace (campagne, appartement, montagne…) – corps, est celui de la recherche, de la remise en question, de la vulnérabilité et de la révolution, mais une révolution douce, circonstanciée, respectueuse d’un certain passé, qui opère par tâtonnements modestes. Comme si finalement le réalisme n’était pas incompatible avec un lyrisme affleurant (avec comme prêtresse du genre Claire Denis, « le cinéma français a-t-il le goût du sang?», « Comment agissent les anticorps dans la fiction ? »). Comme si la réconciliation des genres n’aboutissait aucunement à un monstre de perplexité, mais à une œuvre d’art en permanente auto-transformation.
Comme l’écrivait Eric Rohmer dans son célèbre article Vanité que la peinture, qui résonne comme une maxime aux oreilles des réalisateurs actuels, thuriféraires d’une certaine conception du cinéma :
Aller de l’extérieur à l’intérieur, du comportement à l’âme, telle est sans doute la condition de notre art ; mais j’aime qu’en ce nécessaire détour, loin de ternir l’éclat de ce qu’il donne aux yeux, il l’avive et, qu’ainsi libérée, l’apparence d’elle-même nous éclaire.

Grandeur et décadence

Malheureusement il est à regretter que la réflexion, fut-elle si méticuleuse, s’arrête à une forme de constat contemplatif. L’analyse générale, le recul salvateur n’opèrent qu’à l’occasion de la dernière question. Bref, on reste un peu sur notre faim, la dissection est efficace mais elle aboutit à séparer complètement les membres du tronc, la tête du cou, les pieds des jambes. On se retrouve avec une belle autopsie du cinéma d’auteur français, qui dissémine des indices mais ne nous apprend rien sur les causes du décès. Bref, une analyse complète et agréable, mais trop métonymique. A force de vouloir expliquer en détaillant ses parties constitutives, l’auteur oublie d’essayer de comprendre l’entité générale. Tout cela manque cruellement de recul et de distance pour proposer une vue d’ensemble articulée et homogène.

La cause est peut-être à chercher dans le postulat de départ. Depuis Durkheim, les sociologues ainsi que le plus étourdi des étudiants en sociologie savent que la définition préalable est essentielle à toute analyse. Malheureusement, loin d’apporter une définition claire (mais pour sa défense, en existe-t-il une ?), à ce qu’il entend par « cinéma d’auteur français », David Vasse étire cette caste jusqu’aux franges nauséeuses du cinéma français dans son acceptation large. Qu’est-ce qui définit le cinéma d’auteur français ? Son auteur ? Desplechin, s’éloignant des vertus propres à son cinéma pour s’encanailler dans des considérations plus commerciales, fait-il encore du cinéma d’auteur français ? Ses acteurs ? Ses sujets ? Parler du sida, de l’homosexualité est-il un gage de cinéma d’auteur français ? Pédale douce est-il alors du cinéma d’auteur ? Ses sources de financement ? Sa distribution? L’acte de courage ultime aurait été de tenter de définir de façon globale ce qu’est le cinéma d’auteur français aujourd’hui, sans tomber dans la toujours très convenue et évanescente explication d’un esprit « cinéma d’auteur » particulier, d’un souffle reconnaissable qui balaie le film.

Il semblerait aussi que ce cinéma particulier, objet protéiforme et abâtardi, se dérobe à l’analyse, et qu’avant de tenter de l’apprivoiser, il faille revenir sur la notion même « d’ auteur », sur laquelle bon nombre de penseurs se sont cassé les dents. Partir de la notion d’auteur, analyser comment ce cinéma s’écrit, proposer une exégèse de l’art contemporain de la réalisation pour arriver enfin à des analyses plus ciblées sur les parties constitutives. Il ressort à juste titre de la lecture de l’ouvrage que le cinéma d’auteur français serait un cinéma bavard, évoquant au choix la mort, le deuil, l’homosexualité, le travail, le tout joué par une batterie d’acteurs estampillés « cinéma d’auteur » et dirigés par un réalisateur non moins encarté au parti éponyme.

Pourquoi aussi consacrer un chapitre à la Nouvelle Vague et un prétendu héritage et leg dont le cinéma français des 90-00s serait le légitime dépositaire ? L’auteur est lui-même conscient de l’anachronisme de cette rubrique, qu’il affuble de l’expression «Les griffes du passé». Le mal est bien français, que de vouloir relever dans tout soubresaut original les prémices d’une Nouvelle « Nouvelle Vague ». Le cinéma français se trouve encore dans une approche infantile, bloqué au stade anal. A quand l’émancipation ? A quand la fin du complexe oedipien ? Il est temps de tuer les pères (Godard, Resnais, Truffaut…), et de forniquer avec les mères (A. Varda…). Pourquoi voir une quelconque continuité entre deux cinémas, deux époques, deux approches originales… Le cinéma français vit trop dans l’ombre cyclopéenne de cette paternité. Alors, au risque de reproduire les erreurs de ce père cannibale (Totem et Tabou, Freud), étouffons-le poliment, intégrons le postulat que la Nouvelle Vague n’était qu’une occurrence heureuse à un instant t, et laissons ses successeurs s’émanciper par eux-mêmes. Le cinéma d’auteur français reconnaissant a de la mémoire, et a réussi à intégrer naturellement les avancées libertaires de la Nouvelle Vague pour proposer une nouvelle manière de filmer la société.

Là où la Nouvelle Vague innovait parfois par des digressions, des faux-raccords, des ellipses destructurantes, sa « nouvelle descendance » proposerait un regard décomplexé et délesté de toute pudeur sur des sujets contemporains : comment les corps adolescents traduisent leur impatience charnelle ? Comment la banlieue, loin de s’esquiver, redevient un espace central et sensible ? Le lieu de travail, en tant qu’espace social, est-il encore oppressant ? Point de fioritures formelles (si ce n’est de temps en temps chez Honoré), mais un parti-pris affiché de traitement libéral bien que pas nécesairement libéré.

Une hagiographie enlevée en quelque sorte, mais qui oublie d’évoquer l’essentiel, comme si le nouveau testament omettait de dire que le Christ était juif. Gratis por deo.

 


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