Le Cri est une œuvre teintée de réalisme poétique et de modernisme cinématographique. Ancien assistant de Marcel Carné, Antonioni savoure cette histoire d’amoureux transi dans le microcosme des ouvriers et parsème son film de séquences que l’auteur du Jour se lève n’aurait pas reniées. Filmant la lente désagrégation d’un homme largué par sa copine, Antonioni profite de cette base scénaristique pour transporter ses protagonistes (un père et sa fille) dans une errance sans but. Chemins de traverse, routes abîmées, paysages grisâtres et esprits farouches. Beau menu pour un déjeuner peu copieux.
Œuvre de transition, Le Cri respire de temps à autre un soupçon de modernité. Où la dénicher ? Dans cette mise en propos qui dénature complètement la pauvreté ambiante du film, qui décrasse la sordidité des regards mal léchés et surtout qui hisse cet homme tout en haut d’un piédestal, celui d’un romantisme flamboyant.
Ne pas perdre espoir et renaître de ses cendres. Adage qui aurait dû coller au corps de ce pauvre infortuné mais qui reste bien loin de la réalité. Vivre pour se faire happer par le noir et blanc granuleux d’une image vieillissante ? Interrogation principale qui conduit ce héros mal aimé vers les sentiers de la honte. Alors cette quête absurde prendra de l’envol et suscitera pas mal de haines envers toutes les femmes rencontrées au gré d’un hasard ou d’une coïncidence. Tout brûle, tout s’enflamme tel ce cercle de feu qui détruit tout sur son passage, entraînant nos personnages dans une spirale sans fin jusqu’à ce que la Mort décide de les séparer.
Le Cri reste une œuvre intrigante, maladroitement ficelée, quelque chose qui oscillerait entre une volonté de redéfinir un monde et le passage obligatoire vers une autre forme de cinéma, vers une liberté absolue où le cinéaste crie dans tous ses plans qu’il ne sera plus jamais le même, que cette transformation est omniprésente et que personne ne pourra lui redorer le blason. Tout se joue évidemment dans ce dernier plan, dans ce dernier saut d’ange, dans cette ultime étreinte. Un corps qui tombe, une voix qui s’élève et une enfant qui pleure. A tout jamais… Un génie est né !