Le cinéma invisible, une nouvelle collection dirigée par la dynamique Carole Aurouet, prolonge le travail de notre infatigable archéologue des rapports entre la littérature et le cinéma, dont les parutions individuelles (1) ou sous son égide (2), proposent à notre regard lettré et curieux l’élaboration littéraire-mêlée parfois d’images et de références cinéphiliques- de films qui ne verront jamais le jour. Le cahier 1, qui vient de paraître, se place sous le signe de l’éclectisme, avec dix ébauches de formes et de longueurs diverses, composées par des artistes d’horizons et de sensibilité variés. Dix spécialistes présentent chacun une œuvre inédite, avec une notice replaçant son auteur dans son contexte historique, esthétique, ou thématique, éditée avec une attention portée à la mise en page du manuscrit ou du format initial. Images, biffures, viennent de temps en temps marquer de leurs présences les écrits via des fac-similés, ce qui rend la lecture de ce cahier agréable, tout en mettant en valeur l’aspect réel et non improvisé ou facile de la création littéraire ou plastique en vue d’une réalisation cinématographique.
Dans ce premier opus, Carole Aurouet et ses collègues passionnés, nous emmènent à la découverte d’un ciné-texte signé Robert Desnos où la notion de couple subit les affres de la culpabilité ; de deux versions d’un écrit façon « Cobra » de Christian Dotremont exposant les relations d’une ouvreuse de cinéma avec un huissier qui assistent à la prière de Perséphone ; d’une satire du consumérisme panurgique par Leslie Kaplan ; d’une tentative scénaristique par Louis Malle de Ma Mère de Bataille (thème que le cinéaste abordera par la suite dans Le Souffle au cœur) ; d’un synopsis original de Christine Montalbetti entrecroisant images fixes, interviews, et références au Ocean’s Eleven de Lewis Milestone ; d’un texte où Valère Novarina décrit l’arrivée d’un personnage sur une voie ferrée située à La Ciotat, un homme souhaitant renommer les objets d’un paysage abandonné, telle une nouvelle création du monde par un Verbe démiurgique ; d’un programme de Bernard Plossu où images et sons se répondent dans le cadre d’un film abstrait et psychédélique ; d’une trame élaborée par Raùl Ruiz sous le signe de Raymond Roussel, canevas dans lequel espaces et temps sont visités par des dibbuks et des cailloux ; d’un récit au cours duquel Jorge Semprun décrit les voyages intellectuels et géographiques d’un Malraux fraîchement auréolé du succès de La Condition humaine , entre une Russie idéologiquement pesante, et une Espagne menacée par le franquisme ; enfin, d’un écrit de Sergueï Trétiakov, narrant le quotidien difficile et violent de paysans frustes ou aveugles d’une région isolée de la Géorgie dans l’URSS des années 20, la Svanétie.
Photographes, romanciers, plasticiens, réalisateurs confirmés, poètes : une constellation d’artistes dont les inédits reviennent à la surface de notre regard mais aussi de notre appréciation et, aussi voire surtout, de notre faculté à imaginer, à mettre en images, ces embryons de cinéma. Remercions Carole Aurouet, et son enthousiaste équipe d’archéologues de ciné-littérature, pour cette nouvelle collection qui va contribuer à un nouvel essor des recherches et publications dans le domaine de la génétique textuelle.
Le Cinéma invisible, cahier 1. Collectif sous la direction de Carole Aurouet. Paru en décembre 2024. Editions Invenit, Lille. 208 pages. Avec une élégante reliure suisse.
1.Citons à ce titre : Les Scénarios de Jacques Prévert, Dreamland, 2003, Paris, 256 p ; Le Cinéma dessiné de Jacques Prévert, Textuel , Paris, 2012, 192 p ; Le Cinéma des poètes. De la critique au ciné-texte, Le Bord de l’eau, coll. « Ciné-Politique », 2014, 299 p.
2.Notamment la collection Le Cinéma des poètes, parue d’abord chez les Nouvelles éditions Place, et désormais chez Quidam Editeur ; Les Films sélectionnés, chez Gremese.