L’épouse (du latin sponsus : fiancé) nous met déjà de plain-pied dans la légalité. Elle est le contraire de la maîtresse et il n’y a chez Federico Fellini aucun lien avec le traditionnel vaudeville du théâtre de boulevard à la française. On l’aura bien compris. L’épouse est dans l’union légale avec l’homme, religieusement ou socialement parlant. Ce n’est peut-être pas un hasard, ou alors un hasard objectif comme les aimaient les surréalistes, si notre première épouse est celle du Sceicco bianco. Nous disions que l’épouse fellinienne se cherche et espère. Wanda est l’épouse d’Ivan et ils se rendent à Rome pour faire bénir leur union par le Pape et aussi pour que Wanda soit présentée à la famille romaine d’Ivan. Jeune épousée, elle n’a d’yeux que pour la poudre aux yeux des romans-photos à deux sous et son seul souhait est de rencontrer son héros de papier glacé “Le Cheikh Blanc” avec qui elle a une relation épistolaire sous le nom de “Poupée passionnée”. Après une petite aventure avec lui, qui s’avérera bien sûr catastrophique, on a droit à un happy end ironique. Elle reste avec son pauvre époux qui a passé la nuit, de son côté, avec une prostituée rencontrée près d’une fontaine alors qu’elle se promenait avec Cabiria (Giulietta Masina, elle-même, dans un petit rôle qu’elle reprendra quatre ans plus tard). Après toutes ces péripéties comiques, ils arrivent bien sûr un peu en retard place Saint-Pierre, mais enfin l’honneur est sauf. Ils peuvent entrer en cortège avec toute la famille dans la Basilique, pendant que Wanda murmure à Ivan : “mon cheikh blanc, c’est toi !”. “J’aime ce film, en dépit de ses défauts évidents, écrit Gilles Martinet, parce qu’on y trouve d’entrée de jeu les trois personnages clés de la comédie fellinienne. La jeune femme naïve et fantasque qui va jusqu’au bout de ses désirs.(…) Le bellâtre hâbleur et lâche (…) et enfin le provincial qui rêve de quitter une vie médiocre et routinière pour découvrir Rome. Sa timidité s’accommode d’aventures faciles.” [1] Gilles Martinet a raison : ces personnages sont souvent présents dans les films de Fellini, mais la caractéristique de l’épouse semble bien d’être un peu soumise à son mari. Certes, Wanda est allée jusqu’au bout de ses désirs, mais elle revient vers son mari certainement parce qu’elle s’est aperçue de la vanité du milieu pseudo-artistique de son Cheikh Blanc, mais aussi sans doute par besoin de sécurité. Il s’agit là d’une ébauche encore un peu satirique et même à la limite du post néo-réalisme (le film date de 1952) mais on y découvre déjà quelques pistes :
— insatisfaction (vertu majeure)
— attente d’un amour meilleur (qu’il soit extra-conjugal ou conjugal tout court !)
— désir de fusion. Et c’est de cette espérance de fusion (impossible en raison de la lâcheté ou de la déréliction de l’époux) que se marque la différence entre un certain type de femme fellinienne et l’homme à peu près toujours identique (qu’il soit Guido, Encolpe, Marcello — de La Dolce Vita — ou même Casanova) c’est-à-dire : veule — jouisseur avec une certaine forme de culpabilité — absence/présence — toujours en porte-à-faux — déplacé au sens étymologique.
L’homme est sans doute toujours un peu Fellini (dans la mesure où les traits de caractère des personnages sont assez rémanents et univoques), un Fellini certes symbolique. Et de toutes ces femmes, laquelle aime-t-il vraiment ? Laquelle le séduit ? Certainement pas l’épouse, trop exigeante, trop possessive, et quelquefois trop hystérique (crescendo : voir le personnage de l’épouse incarné par Anna Prucnal dans La Città delle Donne en 1980) !! L’homme fellinien aime-t-il les femmes ? On a quelquefois l’impression qu’il est un peu leur jouet, subjugué et passif. Deux exemples parmi d’autres : le magnifique et quasi somnambule Marcello [2] de La Dolce Vita suivant l’extravagante Sylvia (Anita Ekberg) dans le dôme de Saint-Pierre, alors qu’elle est travestie en ecclésiastique. Et c’est elle encore qu’il suivra dans la fontaine de Trevi, image devenue quasi archétypale.
[1] MARTINET Gilles, Les Italiens, Grasset, Paris, 1990, p. 233.
[2] “Marcello Mastroianni, si plein de charme mais probablement moins marqué par ses conquêtes féminines que par l’amour qu’il a porté à sa mère et les soirées qu’il a passées avec ses amis les plus proches.” MARTINET Gilles, Les Italiens, Grasset, Paris, 1990, p. 236.