L’Amour et rien d’autre

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Un film trop court… ou une très longue bande-annonce ?

L’affiche à elle seule résume tout le film : une femme dans un lit sourit à son amant quasi acéphale. Pour cause, à la mort de Paul, son grand amour, Martha découvre qu’il lui avait copieusement menti. Il fut alors aisé pour elle de le remplacer dans la foulée par un autre visage vaguement ressemblant. Un simple geste dans l’ascenseur a suffi à Martha pour fantasmer un nouveau Paul en la personne d’Alexander. Pourtant tout était presque parfait, la paire de tabliers à fleurs, les dîners entre amis… Mais qu’avait Paul à cacher ?

C’est justement ce que Jan Schomburg nous propose de découvrir, ainsi que d’observer le mécanisme qui a conduit Martha à combler le vide laissé par un double improvisé. On efface tout et on recommence donc, sauf qu’Alexander ne l’entend pas de cette manière. Et nous non plus. Les béances s’élargissent au film et contaminent tout le scénario. Qu’on ne creuse pas plus loin le délire mythomane et dépressif de Paul pour mieux se concentrer sur l’effet qu’il produit sur Martha, passe encore. Seulement, pour donner une caution psychologique à son tout premier film, le réalisateur s’appuie essentiellement sur le jeu plutôt convaincant de son actrice, Sandra Hüller, abondamment récompensée dans les festivals. Ça ne suffit pas. Le film, relativement court – quatre-vingt huit minutes – et elliptique, semble avoir été composé à peu près comme sa bande-annonce : « un couple uni, une séparation, une nouvelle rencontre ». Et… ? C’est tout.

 

L’Amour et rien d’autre s’affirme ainsi davantage comme une addition tautologique que comme une investigation psychologique. La trame narrative ne suit aucun climax. Le malaise, qui aurait dû être traité progressivement, ne l’est que par paliers schématiques, sans nuance. En résulte la désagréable sensation de lire le résumé du scénario, les idées jetées en vrac sur le papier. Les éclairs métaphysiques clignotent tels des gyrophares, notamment dans la scène du bar, lorsque – par hasard, n’est-ce pas – un inconnu assimile abruptement l’amour à une forme de fascisme consistant à modeler l’autre à son goût, provoquant un pseudo-débat philosophique concis, évidemment ancré dans l’histoire personnelle de Martha. Alexander a d’ailleurs beau l’assurer – « j’aime l’homme que tu as fait de moi » –, nous ne percevons absolument aucun changement dans son caractère, ce pour une raison simple : Schomburg glisse sur ses personnages.

On salue l’initiative, toutefois avortée sur la longueur, de rejouer certaines scènes pour amener l’écho troublant. Idem, Jan Schomburg a l’audace de représenter le deuil et la mort avec une rare crudité lorsque Martha va assister au nettoyage du corps. Malheureusement, toutes ces tentatives restent vaines, affaiblies par un sujet superficiellement brossé, tari par cette structure trop légère en regard d’un thème gigogne invoquant tout à la fois fantômes, deuil insurmontable, mensonges, délires, rapports de couple, impossibilité de l’amour idéal… et qu’on attendait plus densément dessiné. Alors qu’il devait plutôt insuffler une bouffée d’air frais optimiste, le happy end sorti brutalement du chapeau vient au contraire appuyer notre frustration, faute d’avoir été préparés en amont. C’est dommage. On aurait bien aimé y croire : à leur bonheur comme à leur mal-être.

Titre original : Über uns das All

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Durée : 98 mn


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