Pour son premier long métrage, Eran Korilin, jeune réalisateur israélien, choisit de nous conter l’histoire d’une petite fanfare de la police égyptienne, venue en Israël donner une représentation pour l’inauguration d’un centre culturel arabe. Alors que, perdue, la fanfare et ses huit musiciens demandent de l’aide à la très charismatique Dina, sublimement interprétée par Ronit Elkabetz, le temps s’arrête et les âmes se livrent. A l’instar du cinéaste finlandais Aki Kaurismaki, qu’Eran Korilin considère comme l’un de ses maîtres, le réalisateur sait prendre le temps avec ses personnages, et on apprécie. Pourtant, on regrette parfois que la mise en scène soit un peu alourdie.
« Pour moi, la mise en scène statique est profondément cinématographique. » C’est sur ce postulat qu’Eran Korilin choisit d’orienter sa mise en scène. Il le trouve lui-même paradoxal, et on l’approuve si l’on considère que le cinéma est l’art du mouvement. Mais l’intérêt de la démarche et du film est de détourner cette impression d’immobilité donnée par une caméra fixe, des longs plans ou encore très peu de mouvements apparents dans le cadre. Des entrées de champ impromptues et théâtrales aux petits détails finement joués par des interprètes irréprochables, le cinéaste nous amuse, nous émeut et revient presque à une forme de burlesque dont on a la nostalgie.
A la manière d’une « harmonie », terme sur lequel insiste le metteur en scène, les éléments se mélangent et composent un accord parfait (trop parfait ?). Il n’hésite pas en effet à confronter la musique arabe, qui nous est offerte en douceur à la fin du film, avec le jazzman américain Chet Baker dont la chanson My funny Valentine est reprise avec émotion par le séduisant Khaled. Les langues sont aussi habilement mêlées, les égyptiens parlant l’arabe, les israéliens l’hébreu alors que l’anglais apparaît comme la langue charnière entre les personnages. Les couleurs font aussi l’objet de contrastes osés, à l’image des costumes bleus des musiciens qui, à chaque plan, contrastent avec le décor où ils se trouvent, comme des corps étrangers, qu’ils sont, au début, mais qui trouvent petit à petit leur place, tout en gardant cette différence « physique » jusqu’à la dernière image. L’occasion ici de souligner que la photographie est particulièrement réussie.
Notons en dernier lieu la portée politique et culturelle de ce film. Si la parole du cinéaste transparaît dans celle de Dina, quand elle regrette que la télévision israélienne ne diffuse plus de films égyptiens, c’est à l’évidence pour noter le fossé entre les peuples mais aussi pour dénoncer « l’invasion de la société israélienne par la culture de masse américaine et le capitalisme ». De même les traits douloureux de l’Histoire passée et présente sont effacés par des gestes symboliques : un des hommes pose son képi sur les photos représentant la guerre, non pas pour l’oublier mais pour avancer, communiquer, et ce jusqu’à la naissance de plusieurs amitiés et même de sentiments amoureux.
Alors que les premières critiques, nous y compris, ne tarissent pas d’éloge et que les récompenses s’amoncellent, il semble toutefois qu’Eran Korilin, ne parvienne pas encore à la grâce poétique que d’autres peuvent atteindre, souvent par l’inexplicable. Il nous offre néanmoins un joli film, modeste, nostalgique, maîtrisé, un presque hymne à la liberté et à la tolérance.