La question est bien posée, et dans sa promesse, le film aussi. Il génère une tension prégnante du début à la fin, tant chez les protagonistes frénétiques que pour les spectateurs abasourdis. Oui, la réalité dépasse la fiction. En léger bémol, reste que la Vague, même glacée, émeut elle aussi comme une fiction.
Plus de soixante ans après l’armistice de la seconde guerre mondiale, il est admis de croire qu’un régime autoritaire et coercitif de masse ne trouverait plus d’engrais fertile dans les sols démocratiques. Or, si l’expérience menée en 1967 en Californie par Ron Jones auprès de ses élèves a démontré le contraire (la classe réagit positivement à la contrainte d’obéissance imposée et l’expérience se répand à toute l’école), gageons qu’il pourrait malheureusement en être de même aujourd’hui. Aujourd’hui c’est 2009, et Dennis Gansel prend le taureau de la dictature par les cornes. Le réalisateur s’est basé sur le fait divers américain et le roman qui lui a succédé (La Vague de Todd Strasser), classique de la littérature de la jeunesse depuis vingt ans. Enfants ou petits-enfants de l’Histoire, comment s’apprennent les leçons qui nous éloignent du nazisme ? La réponse de Gansel est effroyablement simple : elles se réapprennent toujours… Elle est même plus essentielle, l’aliénation de l’individu par le groupe est intrinsèquement une donnée de l’homme.
Ainsi, dans une Allemagne contemporaine, Rainer Wenger (Jürgen Vogel, inquiétant d’authenticité), professeur populaire un peu rebelle et utopiste, fait face à une classe d’adolescents qui ont l’apanage de l’âge pour justifier leur naïveté. Dans le cadre d’un atelier civique, il les interroge sur l’autocratisme. La bande de jeunes, qui découvre l’étymologie du « gouverner par un seul », réagit mollement : oui, une dictature a été possible dans leur pays, mais forts de se le voir rabâcher, ils sont suffisamment attentifs pour que ça ne se reproduise jamais.
Or l’émergence d’un régime totalitaire, outre la précarité économique et la détresse sociale, est aussi conditionnée par des mécanismes d’obéissance aliénante ; piqué au vif par les élèves blasés, Rainer compte bien les convaincre de la réalité d’un tel risque. Pour ce faire, il déploie insidieusement les moyens nécessaires à faire valoir son propos. L’expérience commence lorsqu’il se fait rebaptiser Herr Wenger par la majorité. Puis le professeur fait rêver ses influençables petites têtes blondes à des jours de fraternité meilleurs, les provoque à marcher au pas, et leur apporte sur un plateau les éléments pour former « La Vague » (mise en place de valeurs fortes visant l’appartenance identitaire au groupe, relais par l’idéologie qu’incarne le chef, ralliement autour d’un nom, d’un salut et d’un code vestimentaire, exclusion des réfractaires). La classe d’étudiants somme toute normaux, forme en une poignée de jours, même pas une semaine, un groupuscule uni et propagandiste ostracisant tout camarade extérieur. Jusqu’à mener, aussi vite qu’on ne puisse pas dire ouf, au pire…
Dès l’ouverture du film, la tonitruante musique qui bat le plein dans la voiture de Rainer nous immerge dans un univers nerveux : la réalisation de Dennis Gansel est impeccable, rapide et brute, comme le film qu’elle raconte. Le réalisateur gardera ce rythme de bout en bout et c’est un élément qui fait la qualité de La Vague. Les scènes se succèdent en tension croissante et le spectateur, d’abord amusé devant le peu croyable, se retrouve bien vite abasourdi face à l’impensable. La photographie de l’image est crue et donne réalité aux événements.
Néanmoins, parce que ce film est une fiction, les renversements de situation frisent parfois la fiction. Certains enchaînements de l’histoire paraissent manquer pour que l’on puisse pleinement comprendre l’escalade de la radicalisation des élèves. De plus, leurs personnalités monolithiques frôlent parfois les clichés des figures adolescentes (le rejeté, la star, la « roots »). Les personnages sont bien campés -dont Max Riemelt en Marco- mais leur basculement du côté (très, très) obscur est trop vite esquissé. Si l’histoire est crédible (à raison, puisqu’elle est basée sur un fait réel), elle peine peut-être à dépasser les murs de l’enceinte du lycée. L’anecdote, tragique, semble alors être contextuelle.
Or, la dérive d’une expérience de psychologie sociale n’est pas qu’une question de contexte. D’autres exemples, traités au cinéma, en témoignent. Comme Das Experiment d’Oliver Hirschbiegel : l’examen du comportement humain en conditions d’incarcération tourne à l’échec, laissant le spectateur bouleversé, et l’humain sous le choc profondément mal à l’aise.
Ces expériences montre la faculté humaine – et donc universelle – de dissoudre son humanité dans la masse. Les réactions et les décisions d’un individu, rationnel et critique, peuvent se modifier de manière troublante dès lors qu’il se trouve en situation de groupe. Son effet peut entraîner une obéissance menant à des actions contraires à la conscience personnelle, une soumission conduisant à l’inhibition psychologique et à la dilution de la responsabilité. Ainsi, si le fascisme n’est pas un sujet tabou mais une plaie encore vive dans les consciences au début du XXIème siècle, reste que les résultats des études de psychologie sociale nous enjoignent à constamment rester sur nos gardes, car les ressorts de l’obéissance extrême à l’autorité semblent structurels.
Par son intensité de fond et de forme, La Vague nous emporte dans la bonne direction. Notre regard finit (comme celui de Rainer) dans la stupeur (terrifiée). Nous pouvons tous être mouillés. Même s’il va parfois un peu vite, c’est donc un film à voir, ne serait-ce que pour demeurer vigilants…