La Nuit des masques (Halloween, 1978)

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Méfiez-vous des imitations : maître étalon du film de slasher, « Halloween » reste un sommet du genre qu’il contribua à inventer. Rarement égalé par des enfants illégitimes plus ou moins doués, « Halloween » tombe le masque.

Après avoir engendré sept suites globalement médiocres, Halloween a finalement eu droit à son reboot en 2007, au beau milieu de la frénésie de remakes qui touche les films de John Carpenter, après Fog (1980) et Assaut (1976) mais avant The Thing (1982). Sous la houlette de Rob Zombie, apprécié pour son Devil’s Rejects (2006), le projet pouvait susciter une certaine curiosité : reproduction au millimètre de certains travellings, reprise maligne du titre "Don’t Fear the Reaper", belle idée de l’obsession de Mike Myers pour les masques – l’original était d’abord intitulé La Nuit des masques chez nous. Las, malgré le respect évident que Zombie lui porte, sa veille de la Toussaint trahit le personnage créé par Carpenter et sa co-scénariste, Debra Hill.

Sans doute conscient qu’il ne peut l’égaler, Zombie se concentre sur l’enfance du tueur. Cruelle erreur, car la force de Mike Myers tient précisément à son absence de psychologie. L’idée que Laurie Strode, la baby-sitter incarnée par la toute jeune "Scream queen" Jamie Lee Curtis, se révèle être sa sœur n’interviendra qu’au deuxième épisode – Carpenter confessera plus tard que cette mauvaise idée devait être dûe à une soirée trop alcoolisée. En montrant un Mike Myers enfant mal dans sa peau, Zombie le dénature, psychopathe mollasson qu’un gouffre sépare du "pure Evil" » carpenterien.

Dans la peau du Dr.Loomis, ce bon vieux Donald Pleasence le décrit pourtant avec insistance : surnommé "The Shape" (la silhouette) dans le script original, Mike Myers n’est « pas humain ». Tout juste peut-on le suspecter de se taper un méchant complexe sexuel. C’est après que sa sœur ait fricoté avec un garçon que Mikey commet son premier meurtre. Quinze ans plus tard, lors de son retour à Haddonfield, il s’en prendra à nouveau aux jeunes libidineux. Dans le même temps, il se révèlera impuissant face à la vierge Laurie Strode. Une impuissance qui deviendra par la suite la règle suprême des slashers puritains des 80’s (la série des Vendredi 13 et… les suites dHalloween).

 

Leçon de cinéma

Ce mince argument psychanalytique mis à part, la nature de The Shape ne s’explique pas. L’espace d’un bref instant seulement peut-on apercevoir son visage adulte, le temps de remettre ce fameux masque, d’autant plus célèbre qu’il s’agit de celui de William Shatner, le capitaine Kirk de Star-Trek, retourné et légèrement maquillé. Par ailleurs, usant avec une grande finesse du champ et du contrechamp, Carpenter rend son tueur imprévisible. Quand nous ne sommes pas dans sa peau (la séquence d’ouverture, tournée en caméra subjective très « depalmesque »), The Shape peut surgir de tout point du cadre. Plus intéressé par le suspens que l’horreur gore – on y voit très peu de sang, à l’instar de Psycho (1960), sa première référence –  Carpenter s’attarde sur l’ambiance et laisse comprendre que la terreur peut surgir à tout moment, de n’importe quel bord du cadre.

Ce n’est en effet pas tant ce que montre l’image qui compte dans Halloween que ce qu’elle cache, hors-champ ou dans l’ombre. Pour simplissime qu’elle soit, la leçon de mise en scène n’en demeure pas moins brillante à l’heure du torture porn où les bassines de sang ont remplacé toute idée de cinéma (Saw, fuit mon regard). C’est parce que The Shape peut surgir à tout moment dans le cadre, alors que l’héroïne principale s’y trouve le plus souvent au centre, que Carpenter réussira son coup : faire hurler les spectateurs de l’époque, qui ne pourront s’empêcher de s’adresser directement à Jamie Lee Curtis.

 
Un croque-mitaine subversif

Tourné pour 325 000 dollars en 1978, Halloween restera le film indépendant le plus rentable jusqu’en 1999. Fruit de la contrainte budgétaire, le parti pris de mise en scène, qui doit beaucoup à un thème musical procurant encore aujourd’hui son frisson de plaisir (le générique et sa citrouille avançant lentement vers l’écran) donne toute sa force au final. Alors qu’il pense avoir tué le monstre, le Dr. Loomis note peu après sa disparition. S’ensuit une série de plans fixes où plane l’ombre de The Shape. Plus que jamais, sans être à l’écran, la présence physique de la silhouette emplit chaque image, rehaussée par l’apparition de sa respiration par-dessus la musique.

Quelques secondes plus tôt, Laurie Strode posera cette question à Loomis : « Qu’est-ce que le croque-mitaine ? ». Réponse du bon docteur : « À dire vrai, c’était lui. ». Non pas un psychopathe donc. Mais un être insaisissable et fantastique, cauchemar venu à la vie (Freddy lui dit merci). Et autant qu’on puisse en juger de l’ouverture, un cauchemar issu d’une famille modèle américain. En bon cynique qu’il est, et quelques années avant l’avènement de la galaxie Amblin, Carpenter filme déjà l’envers des banlieues pavillonnaires et des lotissements proprets. Mike Myers, cancer de l’american way of life ? Et pourquoi pas : derrière le masque pourrait très bien se cacher l’ébauche des antihéros Snake Plissken et John Nada (They Live, 1988).

Titre original : Halloween

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Durée : 101 mn


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